l'association

Il n'est pas facile, pour un auteur Franc-Comtois, de trouver un éditeur qui accepte de publier ses livres. Je vous épargne le couplet sur les génies méconnus, les illustres auteurs à compte d'auteur (Rimbaud, Verlaine, Proust, Stendhal, Poe, Joyce...), tout cela est superbement présenté dans un livre d'Umberto Eco, le Pendule de Foucault. Plutôt que de continuer à essuyer des refus un peu démoralisants, il m'a semblé plus commode de créer une association pour répondre à ce besoin d'être lu.
Celle-ci ne dégage bien entendu aucun bénéfice, mais l'excédent apparaissant sur le compte de résultats est aussitôt réinvesti dans l'édition d'un ouvrage à paraître ou dans la réédition d'un livre épuisé.

Les ressources de cette association viennent de la vente des livres et de recettes encaissées lors des soirées-lecture que j'anime quelquefois. Je lis alors des extraits de mes ouvrages et aussi, fréquemment, des nouvelles inédites dont certaines sont en ligne sur ce blog. Enfin, je ne suis pas un expert en informatique et la mise à jour de ce blog est laborieuse. Soyez indulgent pour les petites fautes de mise en page, d'avance merci.


Pour me contacter :

François Hegwein 16, rue du 11 novembre 25700 VALENTIGNEY téléphone : 03 81 37 82 97
email : francois.hegwein@gmail.com

au catalogue :


François Hegwein Contes et Nouvelles de la Vallée des Terres Blanches 164 p 9 €

Nouvelles de Terres Blanches et d'ailleurs 144 p 9 €
L'envers du Décoré 132 p 9 €

Les Histoires vraies du Facteur Paul 158 p 12 €
Les Charbonniers du Petit Lomont 128 p 12 €

Eldorado 258 p 13,50 €

Légendes d'hiver 164 p 12 €

Fumées d'usine 128 p 12 €

Contes, parlotes et racontotes 136 p 15 €

Histoires de masques et de bouteilles 156 p 12 €

Les cahiers d'écolier 100 p 9 €

Deux classeurs de collégien 128 p 9 €

Balades contées 138 p 12 €

Le chef d'orchestre 122 p 12 €

Le vieux livre 116 p 12 €

L'Arbalète et la 19 140 p 12 €

Le charme discret du presbytère 132 p 12 €

Contes, parlotes et racontotes 2ème recueil 128 p 15 €


Le Vieux Campeur 142 p 12 €


Lacs et entrelacs 108 p 9 €


vendredi 16 décembre 2011

Germain


le livre est sorti depuis hier et disponible chez l'auteur, chez François Hegwein ainsi qu'à la librairie Nicod à Valentigney.


mardi 13 décembre 2011

le Meneux de Chats





Il y a très longtemps, notre pays était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui. On n’osait pas sortir la nuit de crainte de rencontrer des bêtes dangereuses comme les loups ou les ours. Savez-vous que le dernier ours franc-comtois a été tué pas loin d’ici, à Goumois, en 1761 ? Et le dernier loup en 1870 ? Il n’y avait pas de routes où circulaient des voitures avec des phares allumés et les rues des villages n’étaient pas éclairées par des lampadaires comme aujourd’hui. La nuit, le seul éclairage était la lune.

Au milieu de la rue Viette, vous savez, cette rue qui monte vers le Haut-des-Roches, la rue où il y a le bureau de tabac, l’arbre bleu au moment des fêtes, les dentistes, il y avait un petit ruisseau qui coulait et qui se jetait dans le Gland. Maintenant, on l’a recouvert parce que cela n’aurait pas été pratique pour les voitures, un ruisseau au milieu de la rue, et que les gens jetaient tellement de saletés dedans que c’était trop sale. Vous voyez le pont, sur le rond-point, à côté du marchand de pizza ? Eh bien si on se penche de ce côté-là, on voit, sous le pont, un trou par lequel sort de l’eau. C’est le petit ruisseau dont je vous parlais. Si on remonte le long de la combe, on le retrouve à l’air libre jusqu’au pied du village de Thulay, où il prend sa source, dans un endroit qui s’appelle la Beuse aux Loups.

Quand les enfants étaient assez grands, on les envoyait garder les oies ou les vaches. Pour les troupeaux de moutons, il y avait des bergers avec leur chien. Savez-vous à quoi ressemblaient les bergers d’autrefois ?

....

On croyait également qu’il existait d’étranges personnages, les fées, les lutins, la Vouivre et on racontait leurs histoires le soir, à la veillée.

Il y a un autre personnage que l’on ne rencontre que la nuit, et encore, quand il n’y a pas d’éclairage électrique. Vous ne risquez pas de le voir dans les rues de Seloncourt. Peut-être dans la forêt, ou dans un village abandonné. Mais qui va se promener la nuit dans des endroits pareils ? Le personnage dont je vais vous parler peut se promener tranquille, il ne risque pas d’être dérangé. C’est le Meneux de chats.

Autrefois, le Meneux de chats était berger. Quand il n’exista plus aucun troupeau de moutons à garder dans le pays, il se retrouva sans travail et il ne savait plus vivre au milieu des hommes, aussi décida-t-il de s’occuper désormais des chats et c’est ce qu’il fait depuis plus de cent ans. Il est habillé à peu près comme un berger. Quand il veut appeler les chats autour de lui, il imite leur miaulement ou encore il joue un petit air sur sa flûte.

.....

Alors, de tous les côtés, les chats arrivent silencieusement et viennent se frotter contre ses jambes en ronronnant. Quand ils sont tous là, il les emmène dans la forêt des Essarts Bourguignons et quelquefois ils montent tous ensemble jusqu’à une grande clairière où vous êtes peut-être déjà allé vous promener. C’est le point le plus élevé, là où il y a le château d’eau.

En été, quelquefois, il y a des tentes pour un camp de Francas. Ces nuits-là, bien sûr, le Meneux de chats n’y emmène pas ses petits amis. Ils préfèrent remonter le long de la Combe de Thulay, vous savez, au bout de la rue des Combes et de la rue des Sources. Quand on continue en remontant le ruisseau, on arrive à des prairies où on ne risque pas de rencontrer quelqu’un la nuit. Plus haut encore, on trouve la source de ce petit ruisseau qui coulait jadis au milieu du village.

C’est là que le Meneux de Chats emmène les chats quand il y a du monde au château d’eau. Là, ils sont bien tranquilles pour faire la fête, c’est le grand bal des chats.

Au grand bal des chats, il y a des musiciens. Ce sont les grenouilles, les chouettes et les hulottes qui font leur musique en chœur, une musique pour danser que l’on appelle bien sûr un minouet. Vous savez, autrefois, dans les châteaux, les princes et les princesses dansaient dans la grande salle des fêtes et leur danse s’appelait un menuet. Eh bien quelques chats, qui s’étaient cachés pour regarder le spectacle, décidèrent de faire eux aussi un grand bal au clair de lune, et ils copièrent la danse des princes qu’ils appelèrent un minouet.

.....

Or, par une belle nuit de Noël, alors que tout le monde était bien au chaud autour du sapin, le Meneux de chats décida d’emmener ses petits amis faire eux aussi la fête. Ils ne risquaient pas d’être dérangés en pleine forêt tellement les gens étaient bien au chaud, en famille. Les chats ne craignent pas le froid et le Meneux de chats avait une grande pèlerine bien chaude. Il leur joua son petit air pour les appeler et, quand ils furent tous là, les emmena jusqu’à la clairière du château d’eau. Puis, tandis que tous les chats dansaient et faisaient la fête aux chants des oiseaux de nuit (les grenouilles étaient trop frileuses pour chanter en hiver), le Meneux de chats s’installa sur un tronc d’arbre et les regarda s’amuser en souriant. Ils les connaissait tous par leur nom et, pour passer le temps, se mit à les compter. Quand il eut terminé, il enleva son chapeau, fronça les sourcils et se gratta la tête. Il en manquait un.

Le Meneux de chats recompta, recompta encore, et fut pris d’inquiétude. Pas de doute, il manquait le petit Mistigri, un petit chat tigré qui habitait près du cimetière. Le Meneux de chats se leva et, sans hésiter, partit à la recherche de mistigri. Il n’y avait rien à craindre pour le bal : personne ne risquait de venir déranger les danseurs. Il n’y avait plus ni loups ni ours, les seules bêtes qui auraient pu être dangereuses étaient les renards. Mais quel renard serait assez fou pour attaquer des dizaines de chats ? Il serait vite chassé et s’enfuirait, la queue entre les pattes, laissant des grandes touffes de sa fourrure entre les griffes des matous dérangés. Non, pensa le Meneux de chats, je peux les laisser tous seuls sans crainte.

Il reprit donc la route en sens inverse, tapant son grand bâton sur le sol et appelant doucement le petit chat perdu : Mistigri... Mistigri... et marcha doucement jusqu’au cimetière. Un grand hibou, perché sur la plus haute branche d’un foyard, à l’orée du bois, le regardait pensivement.

– Bonsoir, Maître Hibou.

– Bonsoir, Meneux de chats.

– N’as-tu pas vu un petit chat perdu, un petit chat tigré, qui s’appelle Mistigri ? nous l’avons oublié derrière nous en partant au bal.

– Il n’est pas passé ici, en tout cas. Va donc voir dans les premières maisons du village.

– Merci, Maître Hibou. J’y vais voir de ce pas. Bonne nuit !

– Bonne nuit, Meneux de chats.

Le Meneux de chats s’aventura dans les toutes premières maisons et, au milieu d’un jardin, il aperçut une sorte de grange sans porte, une sorte de garage pour ranger une caravane sans doute. Il s’approcha et tendit l’oreille. Un tout petit miaulement venait du fond de la grange, dans le noir. Il appela encore :

– Mistigri...

– Miaou... répondit la petite voix.

– Mais que fais-tu là, tout seul ?

– Miaou... en chemin, j’ai trouvé une écuelle de lait sur mon chemin. Je me suis arrêté pour me désaltérer et, quand j’ai eu fini tout le lait, tous les grands chats étaient déjà loin. J’avais bien trop peur pour essayer de les retrouver dans la forêt, alors je me suis blotti là en attendant le jour. J’ai froid.

– Viens, Mistigri, dit le Meneux de chats en s’accroupissant pour prendre le chaton dans sa grande main.

Il se releva et, cachant bien son petit ami au chaud sous sa grande pèlerine, reprit le chemin de la clairière. À grandes enjambées, il ne lui fallut pas longtemps pour arriver. La fête battait son plein. En cadence, la queue en chandelle, les yeux brillants comme des étoiles, les chats dansaient leur minouet de Noël. Le Meneux de chats posa silencieusement Mistigri à côté de la ronde et il s’y glissa comme s’il avait été à la fête depuis le début.

Avant que les étoiles ne commencent à pâlir et que le froid se fasse plus vif, annonçant le jour qui se levait, le Meneux de chats sortit sa flûte pour sonner la fin du bal. Sagement, tous les chats se rangèrent en file indienne pour prendre le chemin du retour. Quand Mistigri passa devant le Meneux de chats, celui-ci lui demanda s’il voulait monter dans ses bras pour rentrer à la maison.

– Non, je préfère rester avec mes frères, répondit le chaton. Plus jamais je ne les perdrai de vue par gourmandise. Si tu n’avais pas été là, j’aurais passé une nuit bien triste au fond de la grange, au lieu de faire la fête ici. Merci encore, Meneux de chats.

Et tout le monde rentra bien au chaud, dans les granges ou dans les chatières, alors que les petits enfants commençaient à ouvrir les yeux et se levaient pour aller regarder leurs cadeaux sous le sapin. Et les familles firent encore la fête toute la journée, sans se douter que si leurs amis les chats dormaient si profondément, c’est parce qu’ils avaient dansé toute la nuit dans la clairière.

vendredi 18 novembre 2011

dimanche 6 novembre 2011

Conte de la vallée

Pourquoi un lézard vert ?

CONTE DE LA VALLEE.

C'est l'histoire d'une petite fille qui vivait dans un village du Doubs, il y a quelques années. Elle habitait une grande maison avec ses parents. Ses deux grands frères étaient allés faire leur vie dans des villes lointaines.

La petite fille avait dix ans, elle était en sixième et aimait ce qu'on appelait à cette époque l'histoire naturelle : maintenant on dit biologie. Ce qu'elle aimait surtout, c'était observer les animaux et leur vie. Savoir ce qu'ils avaient dans leur ventre l'intéressait peu, surtout si, pour le savoir, il fallait leur faire du mal. Et c'était presque toujours ainsi. Les grandes personnes ont créé un monde souvent incompréhensible et cruel, avec des bouchers, des docteurs qui vous font des piqûres et bien pire encore.

Mais quand la petite fille était triste à cause de telles pensées, il lui suffisait de trouver un chien qu'elle caressait, (le premier venu car elle n'avait pas la permission d'en avoir un pour elle), et elle trouvait dans son regard toute la douceur qui pouvait la consoler. Elle aimait même l'odeur des chiens mouillés, et, les jours de pluie, restait parfois blottie contre le vieux chien de chasse des voisins, suçant son pouce, dans le bûcher, jusqu'à ce que sa maman l'appelle pour le repas de midi :

- Sylvie ! mais qu'est ce que tu fais dans ce bûcher ? Tu es propre !

Sa maman était gentille, mais comme toutes les mamans, elle avait tellement de travail à faire dans la maison qu'elle avait du mal à apprécier l'odeur des chiens mouillés et toutes les choses de ce genre. Comme toutes les mamans aussi, elle était inquiète quand Sylvie n'était pas là, et Sylvie aimait tellement passer des après-midis dans les bois ou près des ruisseaux, que sa maman était souvent inquiète, et son père souvent fâché.

Son père travaillait dans l'usine du village. Il partait tôt quand Sylvie était à peine levée, revenait à midi quand la sirène sonnait et que tous les ouvriers sortaient ensemble de l'usine sur leurs bicyclettes comme de grands écoliers pressés, mangeait vite (il ne fallait pas qu'il attende, ni le repas ni Sylvie), repartait aussi vite pour ne revenir que le soir.

En été, il allait alors au jardin jusqu'à la nuit tombante, prenant juste une pause pour casser la croûte. En hiver, il dînait d'un café au lait et de tartines, et trouvait ensuite quelque chose à bricoler, du bois à fendre et à monter au grenier, des réparations de vélos, ou de menus travaux chez des voisins.

La maman avait toujours à faire, entre lessives à la main, ménage, cuisine, conserves en été, vêtements des grands frères qu'elle retaillait pour les enfants des voisines. La vie était ainsi, il n'y a pas, après tout, si longtemps.

Ils habitaient tous les trois une petite maison des "cités", alignée avec quelques dizaines de ses semblables, toutes avec leur petit jardin. (Mais le père de Sylvie en cultivait un autre, plus grand, à l'autre bout du village, où il se rendait en vélo, les outils sur l'épaule, tenant son guidon d'une main). En été ils allaient à la pêche, maman tricotait à l'ombre d'un arbre, Sylvie jouait (loin de la rive, il ne fallait pas faire fuir les poissons), et le soir ils mangeaient une friture.

Ce jeudi-là, Sylvie a fait ses devoirs le matin. On est au mois de mai. Elle doit ramasser quelques fougères dont lui a parlé son professeur, et les mettre dans un herbier. Elle sait où les trouver, dans une petite vallée appelée la combe aux eaux. Elle monte sur son vélo, file jusqu'à la maison d'une copine qui habite par là, jette son vélo dans l'herbe du fossé et part toute seule dans la combe : elle ne l'a pas raconté à sa maman, mais depuis hier elle s'est fâchée avec sa copine Pierrette, avec qui elle avait dit qu'elle passait l'après-midi. Sylvie préfère chercher ses fougères toute seule.

Elle part donc à l'aventure, les herbes chatouillent ses mollets, les fourrés bruissent de vie, l'eau qui coule au fond de la combe lui rafraîchit les pieds quand elle les y met : il y a un sentier, mais il est tellement envahi par les ronces qu'elle préfère souvent sauter de pierre en pierre dans le lit du ruisseau.

Elle n'est pas longue à trouver d'autres centres d'intérêt que les fougères. Une branche tombée gêne le passage de l'eau. Elle colmate le début de barrage avec des cailloux et de la boue, puis dirige le cours de l'eau vers un goulet. Elle dit tout haut :

- Je vais faire un moulin.

- C'est ça, répond une petite voix pincée, et puis tu mettras une dynamo de vélo pour avoir de l'électricité ! C'est beau, tu as vu les pylônes au-dessus de nous ?

Sylvie sursaute, cherche qui a parlé, et ne voit personne. Il n'y a qu'un gros lézard vert qui se chauffe sur une pierre plate, et qui la regarde. Elle se tourne vers lui, et, par jeu, car bien sûr elle sait quand même que les reptiles ne sont pas doués de la parole, elle lui dit :

- T'es pas content, toi ?

Alors il se passe une chose étrange : le lézard cligne deux fois de l'œil, tire sa petite langue noire et bifide, la rentre très vite et se campe sur ses deux pattes de derrière, ses pattes de devant posées sur ses flancs, comme une brave homme indigné qui poserait ses deux poings sur ses hanches, et répond d'une petite voix coléreuse :

- Non, je ne suis pas content ! Cette vallée est belle, mais elle était bien plus belle quand vous n'y aviez pas encore mis les pieds, vous les humains.

Sylvie est quand même un peu étonnée, mettez vous à sa place. Mais les comprenottes des enfants sont bien plus agiles que celle des grandes personnes, et elle prend très vite le parti de ne pas se laisser démonter.

- D'abord, ce n'est pas moi qui les ai faits, ces pylônes, même que je les trouve moches aussi. Ensuite je voudrais bien savoir comment tu sais que je voulais faire de l'électricité avec mon moulin. C'était juste pour le faire tourner.

- C'est moins grave, concède le lézard, mais tu as pensé aux tritons ?

- Ça ne les gêne pas, mon barrage.

- Sauf qu'il y a un triton resté coincé en haut, qui voudrait aller retrouver sa copine en bas, et qu'il ne sait plus comment faire.

Sylvie cherche en amont de son barrage, voit un beau triton bleu à ventre orange vif, au dos orné d'une longue et fine crête noire et jaune, qui la regarde d'un air suppliant. Elle plonge la main dans l'eau, l'attrape, et la dépose dans le bassin en aval de son barrage, à côté d'une tritonne verte à taches noires.

- Il aurait mieux valu ne pas faire de barrage du tout, s'emporte le lézard, maintenant ils sont à moitié morts de peur. Ça te plairait d'être empoignée par un géant et soulevée au-dessus des arbres ?

Cette fois, Sylvie en a assez qu'on lui fasse la morale. Elle demande, l'air de rien, pour endormir la méfiance de son étrange interlocuteur :

- Je m'appelle Sylvie, et toi ?

- Cyprien, répond l'autre sans se douter de rien.

Alors, vive comme l'éclair, Sylvie lance la main vers le lézard. Elle sent un chatouillis, et quand elle ouvre les doigts pour regarder, il n'y a plus dans sa paume ouverte qu'une peau vide. Elle appelle :

- Cyprien ! Cyprien!

Mais vous pensez bien que personne ne lui répond. Elle retourne toute songeuse vers son vélo, et va montrer la peau vide à son professeur d'histoire naturelle, sans lui dire comment elle l'a trouvée.

- C'est une mue de lézard vert, Sylvie, tu sais, quand il change de peau parce qu'elle est trop petite. Mais je n'en ai jamais vue d'aussi bien conservée, même pas déchirée. Prends-en bien soin.

Et Sylvie va ranger la peau dans une petite armoire de poupées que lui a faite son papa.

L'été a passé, la rentrée est venue, les jours raccourcissent et le temps se fait plus frais, surtout la nuit. Sylvie lit dans sa chambre, à la lumière d'une petite lampe de chevet que lui a donnée sa grand-mère, et qu'elle a posée sur son bureau, un pupitre d'écolier que son papa a récupéré.

Elle entend soudain de petits coups sur la vitre. Pourtant les volets sont fermés. Elle s'approche de la fenêtre et tire le rideau pour voir. Elle n'en croît pas ses yeux : derrière la vitre, il y a un tout petit personnage qui gesticule, et dont la bouche s'ouvre comme s'il criait pour se faire entendre. Elle ouvre sans faire de bruit, et fait entrer son visiteur. Debout sur l'appui de fenêtre, il lui dit :

- J'ai froid ! Rends- moi ma peau, s'il te plaît !

- Cyprien ! Mais tu n'es pas un lézard ?

- Si ! enfin, non ! Je ne suis pas seulement un lézard.

Elle le prend dans sa main, le pose sur son bureau. Cyprien grelotte, grimpe avec agilité sur l'abat-jour, s'assied à califourchon en haut et tend ses petites mains translucides vers l'ampoule pour se réchauffer.

- Tu vois, dit Sylvie, l'électricité a quand même du bon.

- Si tu ne m'avais pas pris ma peau, je serais tranquillement en train de dormir dans un trou jusqu'à l'été prochain.

Sylvie ouvre la porte de sa maison de poupée et prend la peau avec précautions. Le petit bonhomme tend les bras et lui dit:

- Donne-la moi, je vais m'habiller dans ta maison.

Il y rentre, et ressort vêtu en lézard, puis cligne deux fois de l'œil, tire et rentre très vite sa petite langue noire, et lui demande :

- Je peux habiter ici pour l'hiver ? Mais il faut que tu me promettes de me ramener à la combe aux eaux quand il fera beau.

- Je veux bien, mais qu'est-ce que tu vas manger ?

- Tu sais, il faudra surtout me laisser dormir, mais je veux bien parler avec toi le soir quand tu auras envie.

Il hésite un peu.

- Si tu en trouves à la mauvaise saison, j'aime bien manger quelquefois un ver de terre.

- Pouah ! dit Sylvie. Mais je t'en trouverai quand même quelques-uns.

Et le lézard devient ainsi le grand ami secret de Sylvie. Il sait plein de choses, et l'aide même à faire ses devoirs. Personne ne se doute de rien, et les soirs d'hiver, ils ont tous les deux de grandes conversations à voix basse.

C'est ainsi que Sylvie comprend de mieux en mieux le petit monde de la combe et d'ailleurs, et que Cyprien comprend que les hommes ne sont pas complètement méchants, mais si distraits dans leurs travaux qu'ils ne savent même pas que les lézards sont comme eux.

Au printemps, Sylvie tient sa promesse, mais elle a une grosse envie de pleurer quand elle quitte la combe aux eaux, où elle a rapporté Cyprien, qui lui fait des signes d'adieu sur une pierre. Pour oublier son chagrin, elle travaille de toutes ses forces à l'école, et ses parents sont fiers d'elle.

Puis les années passant, Sylvie y pense moins, comme si elle avait rêvé, comme si Cyprien avait été inventé par son imagination d'enfant, avec le père Noël et les fantômes.

Sylvie a vingt ans maintenant. Elle est partie pour la ville, et fait des études de médecine. Ses parents ne sont pas riches, mais elle a une bourse car elle est intelligente et travailleuse, et de toutes ses forces voudrait avoir un métier où elle puisse faire du bien. Et puis elle est portée par les espoirs que toute la famille met en elle.

Elle habite une petite chambre de bonne tout en haut d'une grande maison bourgeoise. D'autres étudiants habitent les chambres voisines, mais tout le monde travaille tant qu'on n'a guère le temps de faire connaissance.

Un soir, alors qu'elle révise pour un examen, on frappe à la porte. Elle va ouvrir, et voit un grand jeune homme qui lui sourit d'un air timide.

- Excuse-moi, tu n'aurais pas un livre de biologie ? Je n'ai que des manuels de math et de physique, et je voudrais quelques renseignements assez simples pour le mémoire que je prépare.

- Je peux te prêter celui-ci, mais ne le garde pas trop longtemps. Qu'est-ce que tu fais comme études ?

- Ingénieur en électricité. Je voudrais trouver plus tard des moyens de rendre la vie plus belle pour tout le monde, mais sans ces énormes centrales et tout le bazar qui va avec. Peut-être avec l'énergie solaire, dit le jeune homme qui est resté sur le palier.

- Et pourquoi la biologie ?

- Je voudrais prouver que les techniques actuelles sont dangereuses pour la nature et l'homme. Mais ce n'est guère un sujet à la mode en ce moment. Et il faut trouver autre chose qui permette quand même de garder notre acquit technique, dit le jeune homme d'un air sérieux.

Sylvie repense soudain à son enfance, et aux grandes conversations avec Cyprien.

- Je te souhaite de tout mon cœur de réussir. Si je peux t'aider, n'hésite pas à frapper à ma porte.

- Merci, Sylvie.

- Tu me connais ? demande Sylvie.

- Mais oui !

Alors le jeune homme lui sourit, d'un air heureux, il sort, le livre à la main, puis, à la stupéfaction de Sylvie, en refermant la porte, il cligne deux fois de l'œil, et tire, si vite qu'elle n'est pas sûre de ne pas avoir rêvé, une petite langue noire et bifide.

avril 1997


jeudi 14 juillet 2011

Le livre est en vente, depuis le 1er juin.

mercredi 18 mai 2011


Le livre est maintenant sous presse. Je l'attends d'un jour à l'autre.



vendredi 15 avril 2011

jeudi 14 avril 2011

Voilà, le bouquin est écrit. Il faut maintenant faire toutes les retouches et finitions, ce ne sera pas fini avant juin je suppose. Le titre sera LÉGENDES D'HIVER.

mardi 5 avril 2011

Sports d'hiver

à l'occasion d'une balade dans les milieux (clairsemés) de l'haltérophilie franc-comtoise, un voyage dans un passé encore brûlant chez nos amis Polonais. Avec de l'arraché, de l'épaulé-jeté, des vieilles maisons comtoises, de la saucisse, de la vodka et même de la peinture abstraite.
En cours d'écriture...

vendredi 7 janvier 2011

BONNE ANNÉE À TOUTES ET À TOUS !

Chers(ères) Amis(es) du Lézard Vert,
Je vous présente mes meilleurs voeux pour 2011, avec abondance de bons moments, soirées poétiques, balades en forêt ou au bord de l'eau, câlins et petits plats ! Et une santé de fer pour vous et ceux que vous aimez, afin d'en profiter à satiété !