l'association

Il n'est pas facile, pour un auteur Franc-Comtois, de trouver un éditeur qui accepte de publier ses livres. Je vous épargne le couplet sur les génies méconnus, les illustres auteurs à compte d'auteur (Rimbaud, Verlaine, Proust, Stendhal, Poe, Joyce...), tout cela est superbement présenté dans un livre d'Umberto Eco, le Pendule de Foucault. Plutôt que de continuer à essuyer des refus un peu démoralisants, il m'a semblé plus commode de créer une association pour répondre à ce besoin d'être lu.
Celle-ci ne dégage bien entendu aucun bénéfice, mais l'excédent apparaissant sur le compte de résultats est aussitôt réinvesti dans l'édition d'un ouvrage à paraître ou dans la réédition d'un livre épuisé.

Les ressources de cette association viennent de la vente des livres et de recettes encaissées lors des soirées-lecture que j'anime quelquefois. Je lis alors des extraits de mes ouvrages et aussi, fréquemment, des nouvelles inédites dont certaines sont en ligne sur ce blog. Enfin, je ne suis pas un expert en informatique et la mise à jour de ce blog est laborieuse. Soyez indulgent pour les petites fautes de mise en page, d'avance merci.


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François Hegwein 16, rue du 11 novembre 25700 VALENTIGNEY téléphone : 03 81 37 82 97
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mercredi 3 octobre 2018

La fête du livre à Valentigney en 2000

Nous étions en octobre 2000. J’avais eu la surprise de voir éditer un recueil de mes nouvelles, en mai 1997. J’étais alors président de la Maison pour Tous de Blamont et, par l’entremise du maire Claude Perrot, j’avais fait la connaissance de Pierre Bongiovanni, directeur du Centre International de Création Vidéo (CICV) sis à Hérimoncourt. Pierre habitait Blamont, ce qui explique cette rencontre. À la Maison pour Tous, nous disposions d’un local et d’un peu d’argent, ce qui nous incita à lancer une nouvelle activité, le Cyberclub, dans l’esprit d’un Cybercafé. À cette époque, peu de gens avaient un ordinateur personnel et l’internet n’était que balbutiant en France. Pas pour le CICV, dont le président nous offrit son aide technique. C’est à un déjeuner d’affaires (bien grand mot) avec Pierre Bongiovanni et Claude Perrot que je confiai que j’avais écrit quelques nouvelles. Pierre me demanda aimablement de les lui passer et me les rendit deux semaines plus tard en me disant qu’il y avait de l’énergie dans mes nouvelles. Puis il n’en fut plus question, jusqu’au Festival des Terres Blanches, organisé par le CICV. Nouvelles rencontres, pour mettre au point les implantations des installations diverses, en particulier à la Maison pour Tous, et là Pierre m’annonce qu’il a décidé, pour cette manifestation, de promouvoir quelques artistes locaux, un peintre, un écrivain, et, me dit-il, l’écrivain, c’est toi.
C’est ainsi que fut édité et mis en vente le recueil « Contes et nouvelles d’aujourd’hui de la Vallée des Terres Blanches », avec une solide préparation à l’artillerie du service com’ du CICV et une promotion dans les règles. Ce fut un succès, cantonal certes, mais un succès quand même, et c’est un sacré confort quand ce sont d’autres qui se mettent en quatre pour faire connaître votre bouquin.
J’avais d’autres textes sous le coude et des amis m’encouragèrent à publier un deuxième recueil, qu’ils m’aidèrent à financer. Mais, cette fois, j’étais auto-édité, cavalier seul, free-lance, et démarcher les libraires pour qu’ils prennent vos bouquins en dépôt-vente n’est pas une sinécure. Pas plus que d’avoir un article dans la presse locale, où un journaliste spécialisé dans la culture ne va pas se déplacer, sauf s’il vous êtes parrainé par un écrivain sérieux. C’est le correspondant local qui s’y colle, et neuf fois sur dix vous avez droit à un articulet entre un 90èmeanniversaire de mamie et le dernier concours de pétanque du village. Et ce brave correspondant ne résiste pas, en général, à souligner que je suis facteur et donc, à double titre, un homme de lettres. À la dixième fois, je ne ris plus que par politesse.
Cependant, au milieu de ce parcours un peu désenchanté d’écrivaillon qui cherche en vain à se faire valoir, une libraire m’avait lu et encouragé. Je me souviens encore de l’expression et du ton de Marie-Hélène Nicod, libraire à Valentigney : « en tout cas, vous avez un sacré brin de plume. »  Pour moi, ces paroles valaient de l’or. C’est par elle que je fus invité à tenir une table à la Fête du Livre, en octobre 2000, au Centre Culturel Pierre Belon de Valentigney. Il y avait pas mal d’exposants plus connus que moi et je ne vendis pas grand-chose. Peut-être même que je ne vendis rien, je n’en ai pas souvenir. À l’heure du déjeuner, la salle se vida et je restai seul avec un autre auteur, assis à quelques tables de moi, et qui, lui, semblait bien vendre. C’est tout naturellement que nous engageâmes la conversation. Mon interlocuteur avait un accent italien, un peu zézayant, il était sympathique et sans manières. C’était Cesare Battisti. Je ne savais pas qui il était ni son passé de hors-la-loi. Pour moi, c’était un homme un peu plus jeune que moi (j’avais la cinquantaine), du genre effacé et doté de pas mal d’humour. Je lui achetai l’un de ses livres, lui demandant lequel il me conseillait. C’était Dernières cartouches. Il me le dédicaça ainsi « le 14 octobre 2000 à Valentigney. À François, qui a beaucoup de courage, surtout celui de me lire. » Le courage auquel il faisait allusion, c’était à propos de mes déboires d’écrivain auto-édité.
J’assistai aussi à une conférence-débat, sur la science-fiction, me semble-t-il. La SF était-elle ou non un genre populaire ? Mon souvenir est imprécis. Orateur très technique. J’aurais aimé dire des choses, mais l’occasion ne se présenta pas. Après quoi tout le monde reprit sa place aux tables où nous exposions nos ouvrages.
Je n’aime pas ces salons et en général aucune séance de dédicace. Amertume d’un auteur qui n’a pas connu le succès, dira-t-on. Certes, c’est assez démoralisant de sacrifier un après-midi ou même une journée pour voir défiler des gens qui en général passent sans vous regarder. Dans le meilleur des cas, ils prennent en main votre livre, sur lequel vous avez passé tant d’heures, mis tant de vous-même, puis le reposent en évitant de croiser votre regard. Il m’arrive d’en vendre quelques-uns, mais ce que je préfère, c’est quand j’ai la visite d’un ami. C’est bon, un ami. Mais lui ne va pas vous l’acheter, parce qu’il l’a déjà. Alors à quoi bon ce temps perdu, comme un auto-stoppeur au bord de la route ou une prostituée sur son trottoir ? 

C’est pourtant à ce genre de corvée que j’ai dû la rencontre de Jean-Marie Choffat. C’était à Pont-de-Roide, un soir d’hiver. À cette époque, je fumais et Jean-Marie aussi. Nous sortions à intervalles réguliers pour en griller une sur le trottoir, sous une bruine glaciale. Nous étions complices et nous devînmes confidents. Je lui fis part de ma déception que les journalistes ne se donnent jamais la peine de lire ce que je leur envoyais et il me donna de précieux conseils et surtout des noms. 
« Tu n’auras qu’à dire que tu viens de ma part. Tu poses le bouquin et tu leur dis de te rappeler quand ils l’auront lu. »
Et là, ça a marché. Précieux et indispensable Sésame. Depuis, les journalistes me lisent et j’ai droit à une vraie critique. Merci à Jean-Marie, que je compte comme un ami même si l’on se voit rarement. 
La rencontre avec Cesare me laisse un souvenir tout aussi fort. Je ne sais pas ce que cet homme a commis dans sa vie d’avant, au temps des Brigades Rouges. Lui m’a dit qu’il n’avait pas tué et je le crois, malgré le jugement d’un tribunal qui l’a condamné. Il arrive que la justice se trompe. Mais l’homme qui était devant moi n’était pas un tueur ni une crapule, j’en ai l’intime conviction. Les règles de la vie en société exigent que l’on accepte les décisions de justice. Pourtant, quand je vois parader un Berlusconi, et que je compare avec la façon dont on traite Cesare Battisti, je sais qu’il y a deux poids deux mesures
L’après-midi fut donc, pour moi, ennuyeuse à souhait. Le soir, nous étions conviés à un dîner-concert au gymnase des Longines. C’était le club local de basket qui servait bénévolement à table. Cesare ne connaissait personne et me demanda s’il pouvait s’asseoir à ma table. J’étais seul et acceptai bien volontiers. Je ne me souviens plus du menu. La conversation fut réduite à l’état de traces à cause des musiciens qui investirent la scène. C’était un groupe de rock anarchiste nommé « les Amis d’ta femme ».
À mesure que l’ambiance montait, le Dâv’, le chanteur du groupe, se montra de plus en plus provocateur. Lorsqu’il dédia une chanson à Chevènement, qu’il baptisa « cette pute de Chevènement » pour avoir défendula mise en détention des jeunes délinquants,les édiles locaux baissèrent le nez dans leur assiette. Le groupe avait été invité, il fallait maintenant assumer. Mais beaucoup de visages s’étaient progressivement allongés à l’écoute des Amis d’ta femme. Par contre, Cesare souriait jusqu’aux oreilles en me confiant : ils sont bons !
Après avoir goulûment tété quelques canettes, le Dâv’ se mit carrément à poil pour continuer le concert. Moi-même, n’étant pas vraiment à jeun, je vins lui faire la bise après qu’il eut chanté la chanson de Craonne version Amis d’ta femme. Et nous fraternisâmes en partageant une canette. La soirée se termina trop tôt pour moi. 
Il n’y eut pas d’autre fête du livre. Je ne revis jamais Cesare. Deux ans après, après, revenant sur l’offre d’asile qui avait été faite à l’ex-brigadiste dans un souci d’apaisement, pour mettre un terme aux années de plomb qui avaient ensanglanté l’Italie, le Président Chirac changea de pied et décida de le livrer à la justice italienne. Pour moi, c’était une politesse de Chirac à Berlusconi. Comme je l’ai dit, je n’accuse nullement la justice italienne d’être de qualité inférieure, d’être moins sérieuse que la justice française. Je pense que les deux commettent des erreurs judiciaires. Que les deux ne traitent pas tous les accusés de la même façon, selon qu’ils sont puissants ou misérables comme disait La Fontaine. Et que, quoi qu’il en soit, l’homme avec qui j’avais passé quelques heures n’était pas celui qui avait été accusé d’attaques à main armée et d’homicide des années auparavant. Il était devenu gardien d’immeuble et écrivain de romans policiers, parce qu’un président de la République lui avait offert asile en France. Bref, je souhaitais de tout mon cœur qu’il ne soit pas repris ni emprisonné. Il put s’enfuir et ne le fut pas. Dans le roman que j’écrivis ensuite, les Charbonniers du Petit Lomont, l’un des personnages principaux se prénomme Cesare. Ce fut ma façon de lui dédier l’un de mes livres.

Mais quel dommage qu’il n’y ait eu qu’une seule édition de cette fête du livre, et du dîner-concert qui la suivit...  

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