l'association

Il n'est pas facile, pour un auteur Franc-Comtois, de trouver un éditeur qui accepte de publier ses livres. Je vous épargne le couplet sur les génies méconnus, les illustres auteurs à compte d'auteur (Rimbaud, Verlaine, Proust, Stendhal, Poe, Joyce...), tout cela est superbement présenté dans un livre d'Umberto Eco, le Pendule de Foucault. Plutôt que de continuer à essuyer des refus un peu démoralisants, il m'a semblé plus commode de créer une association pour répondre à ce besoin d'être lu.
Celle-ci ne dégage bien entendu aucun bénéfice, mais l'excédent apparaissant sur le compte de résultats est aussitôt réinvesti dans l'édition d'un ouvrage à paraître ou dans la réédition d'un livre épuisé.

Les ressources de cette association viennent de la vente des livres et de recettes encaissées lors des soirées-lecture que j'anime quelquefois. Je lis alors des extraits de mes ouvrages et aussi, fréquemment, des nouvelles inédites dont certaines sont en ligne sur ce blog. Enfin, je ne suis pas un expert en informatique et la mise à jour de ce blog est laborieuse. Soyez indulgent pour les petites fautes de mise en page, d'avance merci.


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lundi 20 janvier 2020

mon jardin zoologique (fin)

MON JARDIN ZOOLOGIQUE (SUITE ET FIN)

            Valentigney ne se limite pas à un territoire pris comme au lasso dans un méandre du Doubs, elle déborde quelque peu sur la rive droite, côté Seloncourt et Mandeure. Sur cette rive droite, un coteau vient border le lit de la rivière, première allusion au massif du Jura qui va prendre toute son ampleur quelques dizaines de kilomètres en amont. Une courte route, la D38E2, mène en deux boucles au premier plateau de cette montagne, c’est le Bannot. Plateau très modeste, appelé le Haut-des-Roches, en référence au hameau perché en haut d’une falaise qui domine le Doubs et, sur l’autre rive, la ville de Valentigney. Une grande caserne et quelques petites annexes ont été bâties là par les Fils de Peugeot Frères, en 1880, afin d’y loger les ouvriers catholiques et leurs familles pour éviter qu’ils ne se mêlent au reste de la population protestante de Valentigney. Le Haut-des-Roches, relié à Valentigney par un escalier qui descendait la falaise jusqu’à il y a quelques années, ce n’est pas tout à fait Seloncourt, même si administrativement c’est un quartier de cette ville. C’est, à mes yeux, une petite enclave de Valentigney sur l’autre rive du Doubs, comme les Cités Blanches à Beaulieu. Ce n’est pas notre dévoué et méritant Président Philippe qui me contredira, j’en suis sûr. Encore aujourd’hui, et bien qu’il n’y ait plus l’escalier, les habitants du Haut-des-Roches vont volontiers faire leurs courses à Valentigney alors que, s’ils ont à faire dans leur commune véritable, ils disent qu’ils vont « à Seloncourt », comme si ce n’était pas chez eux, comme si c’était une ville voisine.

C’est l’un des quartiers où j’ai été facteur pendant 24 ans, m’arrêtant à quelques mètres du bord de la falaise pour contempler un instant la ville de l’autre rive. Au début, j’ignorais l’existence de l’escalier, aussi, lorsque je vis un jour un monsieur, vêtu comme un employé de bureau et portant une serviette, s’avancer vers le bord puis disparaître, je me frottai les yeux, posai mon vélo contre un mur et m’avançai moi-même pour aller voir. On n’avait pas encore inventé les parapentes comme au Belvédère de Mandeure ! Aussi, cette mystérieuse disparition de mon piéton (c’était monsieur Simard, grand connaisseur de champignons) me faisait-elle penser à un homme planant dans un tableau de Chagall. Et, ce jour-là,  en m’approchant de la piste d’envol imaginaire, je compris enfin le secret de la falaise. Quel dommage que cet escalier, ainsi que maints et maints passages piétonniers, disparaissent peu à peu de notre tissu urbain... Crainte des accidents dans le cas de l’escalier, crainte que ce ne soient des lieux de rencontre pour mauvais garçons, braillards, dealers ou pisseurs, pour ce qui est des ruelles, des gasses... 

 Un retraité des casernes me confia un jour que son potager venait d’être saccagé par un sanglier venu du bois, qui avait tout rebouillé dans sa fringale de racines à dévorer. Le bois du Bannot est là, tout contre le hameau, juste séparé de lui par la route en lacets et un vieux chemin empierré qui monte de façon plus directe.

            Je me suis longtemps interrogé sur le sens du mot bannot. Finalement, un jour, j’ai demandé à mon ami Jacques — Jacques Monamy — grand érudit devant l’Éternel, quelles en étaient la racine et la signification. Voici sa réponse : 
Bannot  est un mot d’origine germanique composé des deux termes  «ban» et «holz».
Ban apparaît au XIIe siècle en moyen allemand, il est d’origine francique et a un triple sens : loi, (dont la non-observance entraîne une peine), défense, enfin juridiction.           Le ban désigne un territoire, une circonscription administrative appartenant à un seigneur et sur lequel / laquelle s’exerce son autorité.
Holz  signifie «bois, forêt»
Bannot signifie donc étymologiquement «partie boisée, forêt appartenant à un seigneur» Ce mot est attesté à Montbéliard et à Seloncourt sous la forme «rue du Bannot». J’ignore si on le trouve également dans d’autres localités voisines; mais cela ne me surprendrait pas, car il est antérieur à l’appartenance de ces deux villes du Pays de Montbéliard au Wurtemberg. On pourrait donc le trouver dans la partie nord de la Franche-Comté (Haute-Saône) ainsi qu’en Lorraine (ancienne partie de la Lotharingie) après le partage de l’empire de Charlemagne en 962!

Voilà pour les curieux qui, comme moi, cherchent avec entêtement à comprendre pourquoi il y a une rue du bannot, ou une impasse de la gasse, ou une rue de la ribe, ou une rue de la pâle, ou une rue de la prairie ou une rue du canal, dans les bourgs des alentours. Et qu’est-ce que ça veut dire.

Mais revenons au bois du bannot et à sa faune — animale, pas humaine ! Les Fils de Peugeot Frères obtinrent en 1885 l’autorisation de faire ouvrir un chemin empierré qui descendait des casernes jusqu’aux rives du Doubs, coupant un méandre de la route actuelle. Ce chemin, qui, comme l’escalier, cessa pratiquement d’être utilisé par le commun des mortels, eut jadis la réputation d’être fréquenté par des exhibitionnistes, à tel point qu’une vieille demoiselle avec qui j’aimais bavarder me l’avait dénommé en riant « le chemin des montre-cul ». À tout le moins, il n’y avait plus que quelques originaux pour l’emprunter, note Georges Bugler, un historien local en 1970, il fallait être un spécimen de la noble race des piétons, espèce en voie de disparition. Mais il n’est ici question que de la gent animale, naturellement vêtue de plumes, d’écailles ou de fourrure. Si le quartier du Haut-des-Roches est, bon gré mal gré, rattaché à Seloncourt, le bois du Bannot et ce chemin, eux, appartiennent à Valentigney.

De beaux sentiers sillonnent ce bois du Bannot. L’un d’eux est le sentier André Beucler. Imaginons ensemble que nous venons de franchir le pont de la Libération. Nous longeons le Doubs sur notre droite, en empruntant la piste cyclable, puis nous montons à gauche la route du Bannot, que nous abandonnons très vite pour fuir les voitures  qui foncent dans les méandres de la D38E2. Sur le bas côté de cette voie, j’ai vu un jour le cadavre d’un malheureux blaireau d’assez bonne taille, victime du trafic automobile. J’ai déjà été renversé par une auto. Je ne veux pas finir comme le blaireau. Le vieux chemin empierré, raboteux comme dit Georges Bugler, même quand il est malencontreusement barré par la chute d’un arbre ou un amas de branchages, est un moyen plus sécure, ou moins dangereux si vous préférez, d’accéder sur le Haut-des-Roches. Après un bref passage par la rue des Sapins,  qui, elle, fait partie de Seloncourt, nous arrivons presque tout de suite au rond-point du Bannot. Prenons alors, à droite, la route qui mène à Bondeval, jusqu’à l’entrée du bois du Bannot. Nous longeons le château et la propriété de Bertrand Peugeot, avant de nous enfiler dans le bois et de retrouver le sentier André Beucler. Si j’ai bien regardé la carte, nous n’avons pas ou très peu quitté les limites de la commune de Valentigney. Vous me reprendrez si je me trompe. En tout cas, notre blaireau, que j’aurais beaucoup aimé croiser de son vivant, venait sans doute de là. 

C’est un bel animal, le blaireau. On le braconne, bien entendu, et même sans cela il n’est pas très prudent quand il faut traverser une route. On a même fait de son nom une sorte d’injure. On l’a réduit à un objet servant à faire mousser le savon avant le rasage. J’espère bien avoir la chance d’en croiser un pendant mes balades. 

Mais on peut aussi accéder au sentier André Beucler par le bas. En remontant le Doubs depuis le pont de la Libération, sur la piste cyclable qui fut jadis un chemin de fer, on longe l’Asile du Rocher, puis plus loin une impressionnante falaise, reste d’une carrière, en face du pont des Longines. Enfin, on arrive aux premières maisons avant les Cités Blanches et, là, un sentier balisé vous invite à monter à Bondeval. C’est l’autre entrée du sentier André Beucler, que l’écrivain empruntait pour descendreà Beaulieu et qu’il a si bien décrit dans Gueule d’amour. C’est là que j’ai rencontré, à deux reprises, un chamois. La première fois, j’ai bien pensé avoir la berlue et j’ai téléphoné à un copain chasseur, à mon retour, pour lui demander si c’était possible. Bien sûr, que c’est possible. Les chamois s’aventurent dans le bas, jusqu’à proximité des villes. 
Arrivé en haut du raidillon, je délaisse le large chemin qui redescend sur ma gauche et je prends un sentier plus petit, non balisé, qui longe la colline en surplombant le Doubs et Valentigney, jusqu’à rejoindre le chemin principal. Il ne me reste plus qu’à sortir du Bois du Bannot, en face de la déchetterie de Seloncourt, à parcourir quelques centaines de mètres sur le trottoir du bord de la route et, arrivé au rond-point, à redescendre par le petit Bannotjusqu’au pont de la Libération, en sens inverse de ce que je décrivais précédemment. 

Pour terminer cette petite visite en trois étapes de mon jardin zoologique boroillot, j’ai invité deux fantômes à m’accompagner pendant quelques lignes. Selon Georges Bugler, entre 1890 et 1900, des familles de Valentigney se rendaient à pied le dimanche à Fahy ou à Damvant pour y acheter ce que le fisc permettait : café, sucre, tabac, allumettes, bonbons et petits cigares, en quantités limitées. À cause de ces limites, la contrebande ne chômait pas. Elle était pratiquée par des hommes, parfois des femmes et même par des chiens. Les deux derniers chiens contrebandiers de Valentigney, «la Bellone» et «le Mousse» appartenaient à un certain Fallot. Chaque bête, équipée d’un fourreau spécial, pouvait de nuit, sans guide, rapporter environ 10 kg de marchandises. Ces chiens finirent par être surpris et tombèrent sous les balles des policiers.

J’ai une pensée émue pour ces deux pauvres bêtes. D’autres chiens furent décorés pendant la Première Guerre Mondiale pour services rendus à la Patrie, mais ni les chiens soldats ni les chiens contrebandiers ne comprirent jamais rien aux missions qui leur furent confiées, se contentant d’obéir à leur maître. Ils n’avaient rien demandé. Si je croise les fantômes du Mousse et de la Bellone, je leur ferai un petit signe de la main, les invitant à rejoindre mes amis la chouette, le renard, le blaireau et le corbeau, les foulques, les colverts, le mandarin et les poules d’eau, les chats et les chevesnes, le chamois, les hérons et les hérissons. Et même le Coucou qui Lit.


Valentigney, novembre 2019 

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