l'association

Il n'est pas facile, pour un auteur Franc-Comtois, de trouver un éditeur qui accepte de publier ses livres. Je vous épargne le couplet sur les génies méconnus, les illustres auteurs à compte d'auteur (Rimbaud, Verlaine, Proust, Stendhal, Poe, Joyce...), tout cela est superbement présenté dans un livre d'Umberto Eco, le Pendule de Foucault. Plutôt que de continuer à essuyer des refus un peu démoralisants, il m'a semblé plus commode de créer une association pour répondre à ce besoin d'être lu.
Celle-ci ne dégage bien entendu aucun bénéfice, mais l'excédent apparaissant sur le compte de résultats est aussitôt réinvesti dans l'édition d'un ouvrage à paraître ou dans la réédition d'un livre épuisé.

Les ressources de cette association viennent de la vente des livres et de recettes encaissées lors des soirées-lecture que j'anime quelquefois. Je lis alors des extraits de mes ouvrages et aussi, fréquemment, des nouvelles inédites dont certaines sont en ligne sur ce blog. Enfin, je ne suis pas un expert en informatique et la mise à jour de ce blog est laborieuse. Soyez indulgent pour les petites fautes de mise en page, d'avance merci.


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lundi 20 janvier 2020

mon jardin zoologique (suite)

Mon jardin zoologique (suite de la visite)

Aux confins de la ville s’étendent des forêts. L’une d’elles est presque comme un décor en trompe-l’œil. C’est le Bois du Fouré, m’indique la carte de l’IGN. Je dis « en trompe-l’œil », car, vu du bourg, le long coteau boisé pourrait laisser croire qu’il existe une vaste forêt au-delà de son arête. En réalité, cette forêt n’a qu’une profondeur de quelques centaines de mètres, après quoi l’on est arrêté par une haute clôture protégeant le circuit Belchamp, un centre d’essais pour automobiles. Néanmoins, elle recèle tout un bestiaire et toute une histoire.

À mon arrivée à Valentigney, je me donnai pour programme de découvrir quelles balades on pouvait faire sans prendre la voiture. Vieille manie de ma part, ce n’est même pas par principe, plutôt par instinct : chaque fois que je peux éviter d’utiliser un moteur, que ce soit pour scier, visser, percer, me déplacer, jardiner ou même raper des carottes, je n’utilise que ma force motrice. C’est comme ça, je fais la grimace quand on me parle moteur. Inutile de vous dire l’effet que me font le bruit des tronçonneuses quand je me promène dans la forêt, celui d’un scooter à l’échappement approximatif dans la rue où nous habitons, celui de la balayeuse municipale en train de ramasser les feuilles mortes à la vitesse d’une tortue qui grignote sa salade, celui d’un voisin qui tond son carré d’herbe, passe l’aspirateur dans sa voiture ou nettoie sa cour avec une souffleuse... Je sais, il faut bien que les gens travaillent, que le monde tourne, je ne fais d’ailleurs aucun reproche à toutes ces personnes si vaillantes, mais... je préfère le bruit du vent dans les branches et le gazouillis des petits oiseaux. J’étais déjà comme ça étant gosse et, par-dessus le marché, j’ai fait toute ma carrière sur une bicyclette. Ça a dû me donner comme une déformation professionnelle. Bon, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos balades autour de Valentigney en saluant les bêtes que je rencontre.

De ma fenêtre, on voit la ferme des Buis. À toute heure, s’il fait beau, elle est éclairée par le soleil et se détache à une extrémité de la colline qui borde Valentigney sur le flanc ouest. C’est par là que mes pas m’ont porté, tout naturellement, lors de mon exploration pédestre de la petite ville. C’est là aussi que nous avons amené, mon épouse et moi, nos petits enfants pour leur montrer les poneys et leur offrir une promenade sur leur dos. Nous y avons assisté également à un concours hippique. Certes, ce sont là bêtes apprivoisées, animaux domestiques, mais, puisque le thème de mes balades est la rencontre de la faune, il ne serait pas juste que j’oublie les chevaux. Pas plus que les poules qui caquettent dans les rares poulaillers boroillots ni les chiens, roquets hargneux qui m’interpellent à mon passage, brave chien d’aveugle qui attend son maître ou miniatures bien peignées qui courent dans tous les sens pour des affaires mystérieuses.
Ce n’est pas à vous, lectrices et lecteurs de la revue du VVN, que je vais apprendre l’histoire de la ferme des Buis. Moi-même, Boroillot de fraîche date, j’ai découvert cette histoire en feuilletant des livres à la médiathèque qui se trouve à deux pas de chez moi.
De cette ferme, qui n’est donc devenue équestre que plus tard, l’on rejoint un chemin qui longe le coteau depuis la rue des Buis jusqu’à la route de Mathay. C’est le Chemin de Comberut, indique le plan, mais je l’appellerais plus volontiers Chemin des Cavaliers ainsi que le précisent les panneaux. C’est un agréable lieu de promenade pour les citadins le dimanche. À l’endroit où confluent les deux chemins, celui qui part de la ferme et celui qui monte de la rue des Buis, se trouve une maison aux volets fermés. À ce niveau, une voie empierrée part à angle droit, à travers champs, pour venir buter sur la clôture du centre d’essais à quelques centaines de mètres.
Pour les Boroillots de souche, cette petite maison, c’est le bacu, que l’on peut aussi écrire bacul ou baccut, mais que l’on n’écrit en fait presque jamais. On le prononce, c’est tout. Ce n’est point là langage académique.
Ce mot m’évoque immédiatement les huttes de charbonniers. Jadis, ils étaient relativement nombreux dans les forêts des alentours afin d’alimenter en charbon de bois l’industrie métallurgique locale, avant que l’on n’utilise le coke. Mais le plus souvent, un bacu, c’est une cabane, quelque chose d’un peu plus grand et construit que la simple hutte qui servait à veiller près de la meule. Plus tard, quand il n’y eut plus de charbonniers, il arriva que les bacus restés debout servent aux chasseurs, aux randonneurs et même aux archéologues[1]pour leurs agapes.
De nos jours, ce que les Boroillots appellent le bacu, c’est la maison aux volets fermés que j’évoquais plus haut. Elle m’a intrigué immédiatement, comme du miel attire une mouche, cette maison. Naturellement, je me suis projeté en imagination comme une sorte de garde forestier un peu ermite résidant là, ou en couple de vénérables retraités avec ma petite femme, ramassant les pommes du verger voisin, accueillant une ribambelle de gosses pour le goûter, entretenant de beaux rosiers grimpants sur sa façade... Vaines rêveries de quelqu’un qui n’a vraiment rien d’autre à faire.
Un autre promeneur, rencontré sur le chemin des cavaliers, me parla du bacu. Là, me dit-il, on venait faire la bringue le dimanche. Puis il allongea le pas et la conversation s’arrêta là, me laissant sur ma faim. J’essayais de me représenter une sorte de guinguette où des ouvriers endimanchés seraient venus se distraire le jour du Seigneur. J’étais, m’affirma-t-on ailleurs, dans l’erreur complète. D’ailleurs, la maisonnette n’avait rien d’une guinguette, elle aurait plutôt fait penser à une maison de garde-barrière — s’il y avait eu un train !
Pourtant, un vrai bacu, ce n’est pas une maison en dur. C’est juste une cabane, même si elle était remarquablement bien conçue, aménagée et isolée du froid avec les moyens du bord, ou plutôt les moyens du bois. Bacu désigne donc un lieu-dit et non la maison elle-même. Laquelle a peut-être été construite à l’emplacement d’un vrai bacu de charbonniers, allez savoir. Pour ce qui est des buvettes, d’autres me dirent que, lorsque la maison fut abandonnée pendant quelques années, des chasseurs, parfois venus en 4x4, s’y livrèrent parfois à des moments bien arrosés... Ah... les Quatre-vingts chasseurs...

Qu’ils soient 80 ou pas, qu’ils soient venus en cat-cat ou pas, les chasseurs ont fait fuir mes petits amis de la forêt. Restent les chevaux, puisque nous sommes sur le chemin des cavaliers. Il arrive que je me range bien courtoisement pour me laisser doubler par une colonne de cavaliers, précisément, lesquels me saluent non moins courtoisement. J’aurais dû écrire « lesquelles », car j’ai toujours vu beaucoup plus de cavalières que de cavaliers. Parfois, un crottin bien frais vient orner le chemin. Je n’ai pas besoin de vous préciser que je préfère cette rencontre à celle d’un essaim de petites motos fumantes et pétaradantes, ou de scooters, ou pire encore de quads. Même si, à mon agréable surprise, les pilotes de tous âges me saluent souvent bien poliment. Je préfère l’odeur du crottin à celle des gaz d’échappement d’un deux-temps. Et le claquement des sabots, les ébrouements ou hennissements aux vroums-vroums.

J’ai dépassé le Belvédère, où des vestiges de feux de bois et quelques canettes attestent qu’il fait bon ripailler dans la nature. Coupant sur ma gauche avant d’arriver au château d’eau, je vais traverser à nouveau le chemin des cavaliers puis longer l’aire des Gens du Voyage, où quelques roquets me feront parfois sentir que je n’ai rien à faire là. Mais c’est en général ce que me disent tous les chiens quand je suis séparé d’eux par un grillage. Une grande route à traverser, cette fois, puis de grands champs, les Essarts, et je ne vais pas tarder à retrouver le bois du Vernois. Je prends à droite sur un petit sentier qui descend de plus en plus pour me déposer au fond de la combe, au pied de la Baume et des abris sous roche où, il y a quelques milliers d’années, vécurent des Boroillots sans boroille. Ils n’ont pas laissé de canettes vides, mais des silex taillés et quelques éclats. Là encore, si je vois des animaux, cela risque d’être des fantômes, ceux de la faune que croisèrent jadis ces hommes abrités sous la roche, loups, castors et ours. Et plus tard, peut-être les poissons fantômes du canal fantôme qui partait irriguer Valentigney avec l’eau détournée du Doubs à peu près à cet endroit. Poissons, écrevisses, tritons, grenouilles, chabots qu’on nommait aussi meutelles...

Mais, pour l’heure, je n’ai plus qu’à rentrer chez moi par les Combes-Saint-Germain, faisant s’envoler papillons et sauterelles, faisant fuir couleuvres et orvets dans les champs avant que je n’arrive aux premières maisons. Je vais rejoindre le Doubs et la promenade des Droits de l’Homme, saluant les canards — tiens, il y en a un blanc, et même un très différent des autres, on le croirait en plastique. Non, c’est un canard mandarin, sans doute émigré du Près-la-Rose. Je vois aussi des foulques, des poules d’eau, parfois un héron ou un cygne. Et, dans l’eau, des chevesnes que convoite le groupe de pêcheurs installé au barrage, avec des canettes pour se consoler s’ils rentrent bredouilles. Je ne verrai plus que des chats, des chiens et des pigeons en passant devant le Musée de la Paysannerie, puis la Mairie, et, dernier animal avant d’être dans la rue du 11 novembre, un oiseau insolite, Le Coucou qui lit.

Cette fois, c’est en rêve que je vais compléter ma visite. J’ai bien du mal à m’endormir, assailli par les questions que me posent tous ces lieux chargés d’histoires. Je me promets d’aller consulter ceux qui savent, historiens, archéologues ou Boroillots de naissance[2]qui en ont si long à conter. Puis le sommeil me gagne, ouvrant la porte à une autre forme de liberté. C’est mon amie la Chouette Effraie qui vient me tirer de mon lit douillet pour m’emmener en balade. Sur le sentier des Cavaliers. Au Bacu. Et alors, comme projetées par une lanterne magique, ou plus familièrement un projecteur super-8 offrant, sur un drap tendu dans une pièce sombre, des séquences de vie familiale prises des dizaines d’années auparavant, tout un récit se déroule devant mes yeux. À rebours.
Je vais laisser une équipe d’ouvriers du bâtiment rafraîchir l’apparence de la maison, qui aujourd’hui semble neuve et prête à ouvrir ses volets pour de nouveaux arrivants. Je crois qu’elle avait brûlé. Quelques années auparavant, c’était le fameux rendez-vous des chasseurs. Je préfère zapper la séquence comme un téléspectateur impatient et versatile. Je n’ai pas d’animosité envers la totalité des chasseurs, Pergaud était chasseur, mais j’ai entendu dire que ceux qui ont fréquenté le bacu étaient un peu louches. Enfin, pas tous, semble-t-il, de braves citoyens aussi venaient y boire un coup entre amis jusqu’à il y a pas si longtemps. Laissons-les boire en paix et zappons.
Remontons dans le temps, dans les années soixante. Devant la maison, un couple, des grands-parents, sans doute, et un bébé dans un berceau. Qui a pris la photo ?   
Remontons encore, avant la naissance du bébé, quand sa maman était encore une petite fille. Deux sœurs, Monique et Renée, sortent de la petite maison un jour d’hiver en tirant une schlitte sur laquelle elles vont s’installer pour descendre le chemin de Comberut jusqu’au bourg, en criant comme des folles quand l’engin prend de la vitesse. Elles ne sont pas habillées de bons vêtements de sport chauds, légers, imperméables, aux couleurs vives, comme de nos jours, mais de pantalons de golf, manteau, bonnet et gants de laine. Aux pieds, elles portent des caoutchoucs par-dessus leurs galoches.
Elles descendent sans doute à l’école des Chardonnerets, où elles seront pas tout à fait comme les autres gosses de la ville, même dans la presque uniformité des blouses de coton. Vivre au bacu, c’est être un peu à la marge.
Et je me repose les mêmes questions que plus haut sur la signification de ce mot. La réponse va m’être donnée par la séquence suivante. On y voit une longue baraque de bois près de laquelle des grumes, des tas de bois, un chevalet, une grosse meule à aiguiser indiquent la présence de forestiers. Et même de charbonniers. Le bacu de Comberut a été pris en photo par Émile Barbier avant 1900, puis Louis Vuillequez à fait l’un de ses si dessins si beaux, si expressifs, si chargé d’âme et de mémoire à partir du cliché. Les charbonniers étaient employés par la Compagnie des Forges au temps où le coke n’était pas suffisant pour alimenter la métallurgie. Mais, même ainsi, les charbonniers étaient à la marge des villes et des villages. Leur vie à l’écart des communautés humaines, leur visage souvent noirci en font des gens pas comme les autres. Pas des hors-la-loi quand même, on sait comme leur foi est proverbiale, mais peut-être n’ont-ils pas tout à fait les mêmes lois que le commun des mortels.


Cela peut avoir ses avantages pour les habitants des villes. D’antiques règlements, puis plus tard le regard sévère des pieux industriels de la région ont contrecarré la multiplication des débits de boisson. Aussi, c’est au bacu, où il se tenait buvette, que les Boroillots se rendaient  jadis en promenade le dimanche pour s’évader de la vallée fumeuse et des patrons prônant la tempérance.



Mais le soir tombe, les ouvriers redescendent chez eux. Le bacu se fond petit à petit dans l’obscurité. Ma guide et amie la Chouette Effraie vole silencieusement d’un arbre à l’autre. Tout le petit peuple de la forêt se réveille à mesure que les hommes sortent de la scène. Le bacu est là, comme un poste-frontière entre la ville et la forêt sauvage, entre le jour et la nuit, entre le présent et le passé.


(à suivre)



[1]Voir sur le site speleo-mandeure.fr : méchouis au bacu du Pitet.
[2]Merci, Pierre Croissant, Pierre Mora, Marie-Hélène Midey, Annie Perrin

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