l'association

Il n'est pas facile, pour un auteur Franc-Comtois, de trouver un éditeur qui accepte de publier ses livres. Je vous épargne le couplet sur les génies méconnus, les illustres auteurs à compte d'auteur (Rimbaud, Verlaine, Proust, Stendhal, Poe, Joyce...), tout cela est superbement présenté dans un livre d'Umberto Eco, le Pendule de Foucault. Plutôt que de continuer à essuyer des refus un peu démoralisants, il m'a semblé plus commode de créer une association pour répondre à ce besoin d'être lu.
Celle-ci ne dégage bien entendu aucun bénéfice, mais l'excédent apparaissant sur le compte de résultats est aussitôt réinvesti dans l'édition d'un ouvrage à paraître ou dans la réédition d'un livre épuisé.

Les ressources de cette association viennent de la vente des livres et de recettes encaissées lors des soirées-lecture que j'anime quelquefois. Je lis alors des extraits de mes ouvrages et aussi, fréquemment, des nouvelles inédites dont certaines sont en ligne sur ce blog. Enfin, je ne suis pas un expert en informatique et la mise à jour de ce blog est laborieuse. Soyez indulgent pour les petites fautes de mise en page, d'avance merci.


Pour me contacter :

François Hegwein 16, rue du 11 novembre 25700 VALENTIGNEY téléphone : 03 81 37 82 97
email : francois.hegwein@gmail.com

au catalogue :


François Hegwein Contes et Nouvelles de la Vallée des Terres Blanches 164 p 9 €

Nouvelles de Terres Blanches et d'ailleurs 144 p 9 €
L'envers du Décoré 132 p 9 €

Les Histoires vraies du Facteur Paul 158 p 12 €
Les Charbonniers du Petit Lomont 128 p 12 €

Eldorado 258 p 13,50 €

Légendes d'hiver 164 p 12 €

Fumées d'usine 128 p 12 €

Contes, parlotes et racontotes 136 p 15 €

Histoires de masques et de bouteilles 156 p 12 €

Les cahiers d'écolier 100 p 9 €

Deux classeurs de collégien 128 p 9 €

Balades contées 138 p 12 €

Le chef d'orchestre 122 p 12 €

Le vieux livre 116 p 12 €

L'Arbalète et la 19 140 p 12 €

Le charme discret du presbytère 132 p 12 €

Contes, parlotes et racontotes 2ème recueil 128 p 15 €


Le Vieux Campeur 142 p 12 €


Lacs et entrelacs 108 p 9 €


lundi 20 janvier 2020

mon jardin zoologique (fin)

MON JARDIN ZOOLOGIQUE (SUITE ET FIN)

            Valentigney ne se limite pas à un territoire pris comme au lasso dans un méandre du Doubs, elle déborde quelque peu sur la rive droite, côté Seloncourt et Mandeure. Sur cette rive droite, un coteau vient border le lit de la rivière, première allusion au massif du Jura qui va prendre toute son ampleur quelques dizaines de kilomètres en amont. Une courte route, la D38E2, mène en deux boucles au premier plateau de cette montagne, c’est le Bannot. Plateau très modeste, appelé le Haut-des-Roches, en référence au hameau perché en haut d’une falaise qui domine le Doubs et, sur l’autre rive, la ville de Valentigney. Une grande caserne et quelques petites annexes ont été bâties là par les Fils de Peugeot Frères, en 1880, afin d’y loger les ouvriers catholiques et leurs familles pour éviter qu’ils ne se mêlent au reste de la population protestante de Valentigney. Le Haut-des-Roches, relié à Valentigney par un escalier qui descendait la falaise jusqu’à il y a quelques années, ce n’est pas tout à fait Seloncourt, même si administrativement c’est un quartier de cette ville. C’est, à mes yeux, une petite enclave de Valentigney sur l’autre rive du Doubs, comme les Cités Blanches à Beaulieu. Ce n’est pas notre dévoué et méritant Président Philippe qui me contredira, j’en suis sûr. Encore aujourd’hui, et bien qu’il n’y ait plus l’escalier, les habitants du Haut-des-Roches vont volontiers faire leurs courses à Valentigney alors que, s’ils ont à faire dans leur commune véritable, ils disent qu’ils vont « à Seloncourt », comme si ce n’était pas chez eux, comme si c’était une ville voisine.

C’est l’un des quartiers où j’ai été facteur pendant 24 ans, m’arrêtant à quelques mètres du bord de la falaise pour contempler un instant la ville de l’autre rive. Au début, j’ignorais l’existence de l’escalier, aussi, lorsque je vis un jour un monsieur, vêtu comme un employé de bureau et portant une serviette, s’avancer vers le bord puis disparaître, je me frottai les yeux, posai mon vélo contre un mur et m’avançai moi-même pour aller voir. On n’avait pas encore inventé les parapentes comme au Belvédère de Mandeure ! Aussi, cette mystérieuse disparition de mon piéton (c’était monsieur Simard, grand connaisseur de champignons) me faisait-elle penser à un homme planant dans un tableau de Chagall. Et, ce jour-là,  en m’approchant de la piste d’envol imaginaire, je compris enfin le secret de la falaise. Quel dommage que cet escalier, ainsi que maints et maints passages piétonniers, disparaissent peu à peu de notre tissu urbain... Crainte des accidents dans le cas de l’escalier, crainte que ce ne soient des lieux de rencontre pour mauvais garçons, braillards, dealers ou pisseurs, pour ce qui est des ruelles, des gasses... 

 Un retraité des casernes me confia un jour que son potager venait d’être saccagé par un sanglier venu du bois, qui avait tout rebouillé dans sa fringale de racines à dévorer. Le bois du Bannot est là, tout contre le hameau, juste séparé de lui par la route en lacets et un vieux chemin empierré qui monte de façon plus directe.

            Je me suis longtemps interrogé sur le sens du mot bannot. Finalement, un jour, j’ai demandé à mon ami Jacques — Jacques Monamy — grand érudit devant l’Éternel, quelles en étaient la racine et la signification. Voici sa réponse : 
Bannot  est un mot d’origine germanique composé des deux termes  «ban» et «holz».
Ban apparaît au XIIe siècle en moyen allemand, il est d’origine francique et a un triple sens : loi, (dont la non-observance entraîne une peine), défense, enfin juridiction.           Le ban désigne un territoire, une circonscription administrative appartenant à un seigneur et sur lequel / laquelle s’exerce son autorité.
Holz  signifie «bois, forêt»
Bannot signifie donc étymologiquement «partie boisée, forêt appartenant à un seigneur» Ce mot est attesté à Montbéliard et à Seloncourt sous la forme «rue du Bannot». J’ignore si on le trouve également dans d’autres localités voisines; mais cela ne me surprendrait pas, car il est antérieur à l’appartenance de ces deux villes du Pays de Montbéliard au Wurtemberg. On pourrait donc le trouver dans la partie nord de la Franche-Comté (Haute-Saône) ainsi qu’en Lorraine (ancienne partie de la Lotharingie) après le partage de l’empire de Charlemagne en 962!

Voilà pour les curieux qui, comme moi, cherchent avec entêtement à comprendre pourquoi il y a une rue du bannot, ou une impasse de la gasse, ou une rue de la ribe, ou une rue de la pâle, ou une rue de la prairie ou une rue du canal, dans les bourgs des alentours. Et qu’est-ce que ça veut dire.

Mais revenons au bois du bannot et à sa faune — animale, pas humaine ! Les Fils de Peugeot Frères obtinrent en 1885 l’autorisation de faire ouvrir un chemin empierré qui descendait des casernes jusqu’aux rives du Doubs, coupant un méandre de la route actuelle. Ce chemin, qui, comme l’escalier, cessa pratiquement d’être utilisé par le commun des mortels, eut jadis la réputation d’être fréquenté par des exhibitionnistes, à tel point qu’une vieille demoiselle avec qui j’aimais bavarder me l’avait dénommé en riant « le chemin des montre-cul ». À tout le moins, il n’y avait plus que quelques originaux pour l’emprunter, note Georges Bugler, un historien local en 1970, il fallait être un spécimen de la noble race des piétons, espèce en voie de disparition. Mais il n’est ici question que de la gent animale, naturellement vêtue de plumes, d’écailles ou de fourrure. Si le quartier du Haut-des-Roches est, bon gré mal gré, rattaché à Seloncourt, le bois du Bannot et ce chemin, eux, appartiennent à Valentigney.

De beaux sentiers sillonnent ce bois du Bannot. L’un d’eux est le sentier André Beucler. Imaginons ensemble que nous venons de franchir le pont de la Libération. Nous longeons le Doubs sur notre droite, en empruntant la piste cyclable, puis nous montons à gauche la route du Bannot, que nous abandonnons très vite pour fuir les voitures  qui foncent dans les méandres de la D38E2. Sur le bas côté de cette voie, j’ai vu un jour le cadavre d’un malheureux blaireau d’assez bonne taille, victime du trafic automobile. J’ai déjà été renversé par une auto. Je ne veux pas finir comme le blaireau. Le vieux chemin empierré, raboteux comme dit Georges Bugler, même quand il est malencontreusement barré par la chute d’un arbre ou un amas de branchages, est un moyen plus sécure, ou moins dangereux si vous préférez, d’accéder sur le Haut-des-Roches. Après un bref passage par la rue des Sapins,  qui, elle, fait partie de Seloncourt, nous arrivons presque tout de suite au rond-point du Bannot. Prenons alors, à droite, la route qui mène à Bondeval, jusqu’à l’entrée du bois du Bannot. Nous longeons le château et la propriété de Bertrand Peugeot, avant de nous enfiler dans le bois et de retrouver le sentier André Beucler. Si j’ai bien regardé la carte, nous n’avons pas ou très peu quitté les limites de la commune de Valentigney. Vous me reprendrez si je me trompe. En tout cas, notre blaireau, que j’aurais beaucoup aimé croiser de son vivant, venait sans doute de là. 

C’est un bel animal, le blaireau. On le braconne, bien entendu, et même sans cela il n’est pas très prudent quand il faut traverser une route. On a même fait de son nom une sorte d’injure. On l’a réduit à un objet servant à faire mousser le savon avant le rasage. J’espère bien avoir la chance d’en croiser un pendant mes balades. 

Mais on peut aussi accéder au sentier André Beucler par le bas. En remontant le Doubs depuis le pont de la Libération, sur la piste cyclable qui fut jadis un chemin de fer, on longe l’Asile du Rocher, puis plus loin une impressionnante falaise, reste d’une carrière, en face du pont des Longines. Enfin, on arrive aux premières maisons avant les Cités Blanches et, là, un sentier balisé vous invite à monter à Bondeval. C’est l’autre entrée du sentier André Beucler, que l’écrivain empruntait pour descendreà Beaulieu et qu’il a si bien décrit dans Gueule d’amour. C’est là que j’ai rencontré, à deux reprises, un chamois. La première fois, j’ai bien pensé avoir la berlue et j’ai téléphoné à un copain chasseur, à mon retour, pour lui demander si c’était possible. Bien sûr, que c’est possible. Les chamois s’aventurent dans le bas, jusqu’à proximité des villes. 
Arrivé en haut du raidillon, je délaisse le large chemin qui redescend sur ma gauche et je prends un sentier plus petit, non balisé, qui longe la colline en surplombant le Doubs et Valentigney, jusqu’à rejoindre le chemin principal. Il ne me reste plus qu’à sortir du Bois du Bannot, en face de la déchetterie de Seloncourt, à parcourir quelques centaines de mètres sur le trottoir du bord de la route et, arrivé au rond-point, à redescendre par le petit Bannotjusqu’au pont de la Libération, en sens inverse de ce que je décrivais précédemment. 

Pour terminer cette petite visite en trois étapes de mon jardin zoologique boroillot, j’ai invité deux fantômes à m’accompagner pendant quelques lignes. Selon Georges Bugler, entre 1890 et 1900, des familles de Valentigney se rendaient à pied le dimanche à Fahy ou à Damvant pour y acheter ce que le fisc permettait : café, sucre, tabac, allumettes, bonbons et petits cigares, en quantités limitées. À cause de ces limites, la contrebande ne chômait pas. Elle était pratiquée par des hommes, parfois des femmes et même par des chiens. Les deux derniers chiens contrebandiers de Valentigney, «la Bellone» et «le Mousse» appartenaient à un certain Fallot. Chaque bête, équipée d’un fourreau spécial, pouvait de nuit, sans guide, rapporter environ 10 kg de marchandises. Ces chiens finirent par être surpris et tombèrent sous les balles des policiers.

J’ai une pensée émue pour ces deux pauvres bêtes. D’autres chiens furent décorés pendant la Première Guerre Mondiale pour services rendus à la Patrie, mais ni les chiens soldats ni les chiens contrebandiers ne comprirent jamais rien aux missions qui leur furent confiées, se contentant d’obéir à leur maître. Ils n’avaient rien demandé. Si je croise les fantômes du Mousse et de la Bellone, je leur ferai un petit signe de la main, les invitant à rejoindre mes amis la chouette, le renard, le blaireau et le corbeau, les foulques, les colverts, le mandarin et les poules d’eau, les chats et les chevesnes, le chamois, les hérons et les hérissons. Et même le Coucou qui Lit.


Valentigney, novembre 2019 

mon jardin zoologique (suite)

Mon jardin zoologique (suite de la visite)

Aux confins de la ville s’étendent des forêts. L’une d’elles est presque comme un décor en trompe-l’œil. C’est le Bois du Fouré, m’indique la carte de l’IGN. Je dis « en trompe-l’œil », car, vu du bourg, le long coteau boisé pourrait laisser croire qu’il existe une vaste forêt au-delà de son arête. En réalité, cette forêt n’a qu’une profondeur de quelques centaines de mètres, après quoi l’on est arrêté par une haute clôture protégeant le circuit Belchamp, un centre d’essais pour automobiles. Néanmoins, elle recèle tout un bestiaire et toute une histoire.

À mon arrivée à Valentigney, je me donnai pour programme de découvrir quelles balades on pouvait faire sans prendre la voiture. Vieille manie de ma part, ce n’est même pas par principe, plutôt par instinct : chaque fois que je peux éviter d’utiliser un moteur, que ce soit pour scier, visser, percer, me déplacer, jardiner ou même raper des carottes, je n’utilise que ma force motrice. C’est comme ça, je fais la grimace quand on me parle moteur. Inutile de vous dire l’effet que me font le bruit des tronçonneuses quand je me promène dans la forêt, celui d’un scooter à l’échappement approximatif dans la rue où nous habitons, celui de la balayeuse municipale en train de ramasser les feuilles mortes à la vitesse d’une tortue qui grignote sa salade, celui d’un voisin qui tond son carré d’herbe, passe l’aspirateur dans sa voiture ou nettoie sa cour avec une souffleuse... Je sais, il faut bien que les gens travaillent, que le monde tourne, je ne fais d’ailleurs aucun reproche à toutes ces personnes si vaillantes, mais... je préfère le bruit du vent dans les branches et le gazouillis des petits oiseaux. J’étais déjà comme ça étant gosse et, par-dessus le marché, j’ai fait toute ma carrière sur une bicyclette. Ça a dû me donner comme une déformation professionnelle. Bon, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos balades autour de Valentigney en saluant les bêtes que je rencontre.

De ma fenêtre, on voit la ferme des Buis. À toute heure, s’il fait beau, elle est éclairée par le soleil et se détache à une extrémité de la colline qui borde Valentigney sur le flanc ouest. C’est par là que mes pas m’ont porté, tout naturellement, lors de mon exploration pédestre de la petite ville. C’est là aussi que nous avons amené, mon épouse et moi, nos petits enfants pour leur montrer les poneys et leur offrir une promenade sur leur dos. Nous y avons assisté également à un concours hippique. Certes, ce sont là bêtes apprivoisées, animaux domestiques, mais, puisque le thème de mes balades est la rencontre de la faune, il ne serait pas juste que j’oublie les chevaux. Pas plus que les poules qui caquettent dans les rares poulaillers boroillots ni les chiens, roquets hargneux qui m’interpellent à mon passage, brave chien d’aveugle qui attend son maître ou miniatures bien peignées qui courent dans tous les sens pour des affaires mystérieuses.
Ce n’est pas à vous, lectrices et lecteurs de la revue du VVN, que je vais apprendre l’histoire de la ferme des Buis. Moi-même, Boroillot de fraîche date, j’ai découvert cette histoire en feuilletant des livres à la médiathèque qui se trouve à deux pas de chez moi.
De cette ferme, qui n’est donc devenue équestre que plus tard, l’on rejoint un chemin qui longe le coteau depuis la rue des Buis jusqu’à la route de Mathay. C’est le Chemin de Comberut, indique le plan, mais je l’appellerais plus volontiers Chemin des Cavaliers ainsi que le précisent les panneaux. C’est un agréable lieu de promenade pour les citadins le dimanche. À l’endroit où confluent les deux chemins, celui qui part de la ferme et celui qui monte de la rue des Buis, se trouve une maison aux volets fermés. À ce niveau, une voie empierrée part à angle droit, à travers champs, pour venir buter sur la clôture du centre d’essais à quelques centaines de mètres.
Pour les Boroillots de souche, cette petite maison, c’est le bacu, que l’on peut aussi écrire bacul ou baccut, mais que l’on n’écrit en fait presque jamais. On le prononce, c’est tout. Ce n’est point là langage académique.
Ce mot m’évoque immédiatement les huttes de charbonniers. Jadis, ils étaient relativement nombreux dans les forêts des alentours afin d’alimenter en charbon de bois l’industrie métallurgique locale, avant que l’on n’utilise le coke. Mais le plus souvent, un bacu, c’est une cabane, quelque chose d’un peu plus grand et construit que la simple hutte qui servait à veiller près de la meule. Plus tard, quand il n’y eut plus de charbonniers, il arriva que les bacus restés debout servent aux chasseurs, aux randonneurs et même aux archéologues[1]pour leurs agapes.
De nos jours, ce que les Boroillots appellent le bacu, c’est la maison aux volets fermés que j’évoquais plus haut. Elle m’a intrigué immédiatement, comme du miel attire une mouche, cette maison. Naturellement, je me suis projeté en imagination comme une sorte de garde forestier un peu ermite résidant là, ou en couple de vénérables retraités avec ma petite femme, ramassant les pommes du verger voisin, accueillant une ribambelle de gosses pour le goûter, entretenant de beaux rosiers grimpants sur sa façade... Vaines rêveries de quelqu’un qui n’a vraiment rien d’autre à faire.
Un autre promeneur, rencontré sur le chemin des cavaliers, me parla du bacu. Là, me dit-il, on venait faire la bringue le dimanche. Puis il allongea le pas et la conversation s’arrêta là, me laissant sur ma faim. J’essayais de me représenter une sorte de guinguette où des ouvriers endimanchés seraient venus se distraire le jour du Seigneur. J’étais, m’affirma-t-on ailleurs, dans l’erreur complète. D’ailleurs, la maisonnette n’avait rien d’une guinguette, elle aurait plutôt fait penser à une maison de garde-barrière — s’il y avait eu un train !
Pourtant, un vrai bacu, ce n’est pas une maison en dur. C’est juste une cabane, même si elle était remarquablement bien conçue, aménagée et isolée du froid avec les moyens du bord, ou plutôt les moyens du bois. Bacu désigne donc un lieu-dit et non la maison elle-même. Laquelle a peut-être été construite à l’emplacement d’un vrai bacu de charbonniers, allez savoir. Pour ce qui est des buvettes, d’autres me dirent que, lorsque la maison fut abandonnée pendant quelques années, des chasseurs, parfois venus en 4x4, s’y livrèrent parfois à des moments bien arrosés... Ah... les Quatre-vingts chasseurs...

Qu’ils soient 80 ou pas, qu’ils soient venus en cat-cat ou pas, les chasseurs ont fait fuir mes petits amis de la forêt. Restent les chevaux, puisque nous sommes sur le chemin des cavaliers. Il arrive que je me range bien courtoisement pour me laisser doubler par une colonne de cavaliers, précisément, lesquels me saluent non moins courtoisement. J’aurais dû écrire « lesquelles », car j’ai toujours vu beaucoup plus de cavalières que de cavaliers. Parfois, un crottin bien frais vient orner le chemin. Je n’ai pas besoin de vous préciser que je préfère cette rencontre à celle d’un essaim de petites motos fumantes et pétaradantes, ou de scooters, ou pire encore de quads. Même si, à mon agréable surprise, les pilotes de tous âges me saluent souvent bien poliment. Je préfère l’odeur du crottin à celle des gaz d’échappement d’un deux-temps. Et le claquement des sabots, les ébrouements ou hennissements aux vroums-vroums.

J’ai dépassé le Belvédère, où des vestiges de feux de bois et quelques canettes attestent qu’il fait bon ripailler dans la nature. Coupant sur ma gauche avant d’arriver au château d’eau, je vais traverser à nouveau le chemin des cavaliers puis longer l’aire des Gens du Voyage, où quelques roquets me feront parfois sentir que je n’ai rien à faire là. Mais c’est en général ce que me disent tous les chiens quand je suis séparé d’eux par un grillage. Une grande route à traverser, cette fois, puis de grands champs, les Essarts, et je ne vais pas tarder à retrouver le bois du Vernois. Je prends à droite sur un petit sentier qui descend de plus en plus pour me déposer au fond de la combe, au pied de la Baume et des abris sous roche où, il y a quelques milliers d’années, vécurent des Boroillots sans boroille. Ils n’ont pas laissé de canettes vides, mais des silex taillés et quelques éclats. Là encore, si je vois des animaux, cela risque d’être des fantômes, ceux de la faune que croisèrent jadis ces hommes abrités sous la roche, loups, castors et ours. Et plus tard, peut-être les poissons fantômes du canal fantôme qui partait irriguer Valentigney avec l’eau détournée du Doubs à peu près à cet endroit. Poissons, écrevisses, tritons, grenouilles, chabots qu’on nommait aussi meutelles...

Mais, pour l’heure, je n’ai plus qu’à rentrer chez moi par les Combes-Saint-Germain, faisant s’envoler papillons et sauterelles, faisant fuir couleuvres et orvets dans les champs avant que je n’arrive aux premières maisons. Je vais rejoindre le Doubs et la promenade des Droits de l’Homme, saluant les canards — tiens, il y en a un blanc, et même un très différent des autres, on le croirait en plastique. Non, c’est un canard mandarin, sans doute émigré du Près-la-Rose. Je vois aussi des foulques, des poules d’eau, parfois un héron ou un cygne. Et, dans l’eau, des chevesnes que convoite le groupe de pêcheurs installé au barrage, avec des canettes pour se consoler s’ils rentrent bredouilles. Je ne verrai plus que des chats, des chiens et des pigeons en passant devant le Musée de la Paysannerie, puis la Mairie, et, dernier animal avant d’être dans la rue du 11 novembre, un oiseau insolite, Le Coucou qui lit.

Cette fois, c’est en rêve que je vais compléter ma visite. J’ai bien du mal à m’endormir, assailli par les questions que me posent tous ces lieux chargés d’histoires. Je me promets d’aller consulter ceux qui savent, historiens, archéologues ou Boroillots de naissance[2]qui en ont si long à conter. Puis le sommeil me gagne, ouvrant la porte à une autre forme de liberté. C’est mon amie la Chouette Effraie qui vient me tirer de mon lit douillet pour m’emmener en balade. Sur le sentier des Cavaliers. Au Bacu. Et alors, comme projetées par une lanterne magique, ou plus familièrement un projecteur super-8 offrant, sur un drap tendu dans une pièce sombre, des séquences de vie familiale prises des dizaines d’années auparavant, tout un récit se déroule devant mes yeux. À rebours.
Je vais laisser une équipe d’ouvriers du bâtiment rafraîchir l’apparence de la maison, qui aujourd’hui semble neuve et prête à ouvrir ses volets pour de nouveaux arrivants. Je crois qu’elle avait brûlé. Quelques années auparavant, c’était le fameux rendez-vous des chasseurs. Je préfère zapper la séquence comme un téléspectateur impatient et versatile. Je n’ai pas d’animosité envers la totalité des chasseurs, Pergaud était chasseur, mais j’ai entendu dire que ceux qui ont fréquenté le bacu étaient un peu louches. Enfin, pas tous, semble-t-il, de braves citoyens aussi venaient y boire un coup entre amis jusqu’à il y a pas si longtemps. Laissons-les boire en paix et zappons.
Remontons dans le temps, dans les années soixante. Devant la maison, un couple, des grands-parents, sans doute, et un bébé dans un berceau. Qui a pris la photo ?   
Remontons encore, avant la naissance du bébé, quand sa maman était encore une petite fille. Deux sœurs, Monique et Renée, sortent de la petite maison un jour d’hiver en tirant une schlitte sur laquelle elles vont s’installer pour descendre le chemin de Comberut jusqu’au bourg, en criant comme des folles quand l’engin prend de la vitesse. Elles ne sont pas habillées de bons vêtements de sport chauds, légers, imperméables, aux couleurs vives, comme de nos jours, mais de pantalons de golf, manteau, bonnet et gants de laine. Aux pieds, elles portent des caoutchoucs par-dessus leurs galoches.
Elles descendent sans doute à l’école des Chardonnerets, où elles seront pas tout à fait comme les autres gosses de la ville, même dans la presque uniformité des blouses de coton. Vivre au bacu, c’est être un peu à la marge.
Et je me repose les mêmes questions que plus haut sur la signification de ce mot. La réponse va m’être donnée par la séquence suivante. On y voit une longue baraque de bois près de laquelle des grumes, des tas de bois, un chevalet, une grosse meule à aiguiser indiquent la présence de forestiers. Et même de charbonniers. Le bacu de Comberut a été pris en photo par Émile Barbier avant 1900, puis Louis Vuillequez à fait l’un de ses si dessins si beaux, si expressifs, si chargé d’âme et de mémoire à partir du cliché. Les charbonniers étaient employés par la Compagnie des Forges au temps où le coke n’était pas suffisant pour alimenter la métallurgie. Mais, même ainsi, les charbonniers étaient à la marge des villes et des villages. Leur vie à l’écart des communautés humaines, leur visage souvent noirci en font des gens pas comme les autres. Pas des hors-la-loi quand même, on sait comme leur foi est proverbiale, mais peut-être n’ont-ils pas tout à fait les mêmes lois que le commun des mortels.


Cela peut avoir ses avantages pour les habitants des villes. D’antiques règlements, puis plus tard le regard sévère des pieux industriels de la région ont contrecarré la multiplication des débits de boisson. Aussi, c’est au bacu, où il se tenait buvette, que les Boroillots se rendaient  jadis en promenade le dimanche pour s’évader de la vallée fumeuse et des patrons prônant la tempérance.



Mais le soir tombe, les ouvriers redescendent chez eux. Le bacu se fond petit à petit dans l’obscurité. Ma guide et amie la Chouette Effraie vole silencieusement d’un arbre à l’autre. Tout le petit peuple de la forêt se réveille à mesure que les hommes sortent de la scène. Le bacu est là, comme un poste-frontière entre la ville et la forêt sauvage, entre le jour et la nuit, entre le présent et le passé.


(à suivre)



[1]Voir sur le site speleo-mandeure.fr : méchouis au bacu du Pitet.
[2]Merci, Pierre Croissant, Pierre Mora, Marie-Hélène Midey, Annie Perrin

Mon jardin zoologique (première partie)

MON JARDIN ZOOLOGIQUE



            Tout a commencé un matin de l’été 2013. Nous avions emménagé l’automne précédent dans cette petite cité ouvrière construite un peu moins d’un siècle auparavant à Valentigney. Pour la première fois, Zoé, ma petite fille de la banlieue parisienne, c’est-à-dire de Paris, pour nous autres provinciaux, passait une semaine chez nous, sans ses parents. Et comme elle n’avait que trois ans et demi, nous avions un peu peur qu’elle n’ait l’ennui. Mais non, tout semblait bien se passer.
            
            Le soleil se levait tôt. Les premières lueurs du jour commençaient à poindre vers les cinq heures du matin. Nos fenêtres étaient restées grandes ouvertes à cause de la chaleur de l’été et l’on pouvait entendre le croassement d’un corbeau perché sur le toit de la maison d’en face. Plus précisément, il s’agissait d’un freux, mais l’habitude est tellement ancrée de dire "corbeau"  que c’est ainsi que nous l’appellerons. Donc, le corbeau en question émettait des séries de trois croassements : 
            Crohah ! Crohah ! Crohah ! et j’avais peur qu’il ne fasse peur à ma petite Parisienne. Mais que nenni : j’eus la surprise d’entendre, venant de la chambre des enfants, une petite voix répondre au corbeau : Crohah ! Crohah ! Crohah !
            Celui-ci, après un temps d’hésitation, commença une conversation en émettant quatre cris, cette fois : Crohah ! Crohah ! Crohah ! Crohah ! à quoi la petite Zoé répondit de sa voix flûtée d’enfant de trois ans et demi : Crohah ! Crohah ! Crohah ! Crohah ! et ainsi de suite pendant un bon quart d’heure. Je ne sais pas ce qu’ils se disaient, mais je n’avais aucun doute sur la complicité qui était née entre la toute petite fille et le vénérable corbeau. Cela me rappela une comptine que je disais jadis à ma fille pour la faire rire avant l’heure de dormir :

"un grand corbeau noir,
tout noir,
m’a crié ce soir :
Bonsoir !
Du fond de mon lit,
j’ai dit :
Ne crie pas si fort !
Je dors !"

            Décidément, il y a de bien étranges amitiés qui se nouent entre les petites filles et les corbeaux. Et pas seulement les petites filles, d’ailleurs, puisque me revint en mémoire l’histoire de Germaine et de Gégène. Voici cette petite histoire. Du temps où j’étais facteur, au siècle dernier, je fis la connaissance d’une vieille dame qui habitait à Seloncourt sur le Haut-des-Roches, au-dessus de la falaise qui surplombe Valentigney. Un soir d’hiver où je m’étais attardé à bavarder chez elle pour cause de calendrier, elle me conta comment elle avait tissé des liens avec un corbeau qu’elle avait appelé Gégène. Quand elle partait faire des courses sur son bima, c’est ainsi que l’on nomme un cyclomoteur dans notre pays, Gégène l’attendait, perché sur un poteau des cordes à linge. Quand elle rentrait, il venait frapper du bec à la fenêtre de la cuisine. Alors, Germaine lui donnait de petits morceaux de lard qu’il rangeait soigneusement derrière les volets en prévision des jours de disette. 
Cette histoire me fut confirmée par ses voisins, à mes visites suivantes : ah oui, Germaine et son Gégène ! Elle l’a gardé longtemps. J’y pensai un peu puis je n’y pensai plus. Ma petite-fille repartit pour sa banlieue et je repris mon train-train quotidien. Lorsqu’une nuit...

            Je ne dormais que d’un œil, allez savoir pourquoi. La pleine lune, peut-être. On dit qu’elle est la cause d’insomnies, à défaut de réveiller les Loups-Garous. Bref, je ne sais pas quelle heure il pouvait être quand j’entendis toquer à la fenêtre de la chambre des enfants. Elle est au premier étage et les pièces sont hautes, aussi il était impossible que ce fût une personne qui toque de la sorte. Et si on y avait lancé des petits cailloux ainsi que font les amoureux qui veulent réveiller leur belle, on n’aurait pas pu le faire en rafale comme ce que j’entendais. D’ailleurs, quel amoureux aurait pu faire cela, à moins que de se tromper de maison ? Il n’y avait pas, chez nous, de fille à marier. Un corbeau, alors, un grand corbeau noir, tout noir ? Mais ils ne se promènent pas la nuit. Je me levai donc sans bruit et allai voir ce qui se passait. Nous n’avions pas fermé les volets de la chambre et la pleine lune éclairait la pièce. Jouets, poupées, pantins et doudous semblaient m’attendre, immobiles, mais peut-être s’étaient-ils figés à mon approche alors qu’ils se livraient l’instant d’avant à un sabbat interdit aux grandes personnes. Peu importe, car je découvris l’auteur des coups à la fenêtre. Devant moi, une sorte de poupée me tournait le dos. J’en fus très effrayé, cette fois, car comment une poupée pouvait-elle se promener devant ma fenêtre, à plus de six mètres de hauteur ? Quelle personne malveillante voulait me jeter un sort en la brandissant au bout d’une perche, en pleine nuit ? Je n’eus pas le temps de faire d’autres conjectures délirantes, car la poupée se retourna et je reconnus, perchée sur la barre d’appui, une Chouette Effraie qui frappa à nouveau trois coups comme avant le lever de rideau dans un théâtre. Malgré ma crainte qu’elle ne s’envolât, j’ouvris en grand les deux vantaux et j’attendis la suite. La Chouette pencha la tête en me regardant, puis se tourna et s’envola pour se poser sur l’un des deux piliers du portail. Là, elle se retourna vers moi et, à nouveau, pencha la tête. Elle semblait attendre, visiblement. Je lui chuchotai :
            –            j’arrive !
            Elle m’attendit le temps que je m’habille et que je descende l’escalier, en silence et en vitesse et, quand je fus devant elle, elle reprit son vol pour se poser vingt mètres plus loin dans la rue. À nouveau, elle se tourna vers moi. L’invite était assez claire et je me mis en route. Mais qu’avait-elle de si important à me montrer, dans la ville déserte et endormie ?

            Elle commença par remonter toute la rue du 11 novembre, celle où j’habite, jusqu’à ce que nous arrivions au croisement avec la rue de Franche-Comté et s’envola vers la droite, vers la rue des Graviers et le Doubs. Chemin faisant, je rencontrai un hérisson qui se carapata dans un jardin et un gros rat qui détala et s’enfila dans une bouche d’égout. Levant la tête après avoir entendu un son stridulant, je vis un ballet de chauves-souris traquant les insectes dans le halo d’un réverbère. Pour une ville déserte, je trouve qu’il y a bien du monde dans la rue, pensai-je en suivant mon guide silencieux. Enfin, silencieux... avez-vous déjà entendu le cri délicat de la Chouette Effraie ? Non ? Vous croyez peut-être que c’est un doux hululement, comme dans un film de cape et d’épée sur le Mouron Rouge ? Un peu comme ça ?
            –            OuhOuhOuh...
            Eh bien non. Pas du tout. La Chouette Effraie grince comme les freins d’un vieux vélo, ou même comme un cochon enroué au moment fatal où l’on va s’occuper de son cas. Je préfère encore le cri du corbeau. 

            Dans la rue des Graviers, mon guide ailé eut la prévenance de voler sur le côté droit de la chaussée, c’est-à-dire sur la piste cyclable. Outre qu’elle était plus large que le trottoir, cette piste longeait des surfaces boisées, plantées de peupliers et envahies par des ronces, qui nous séparaient du Doubs. Tout un petit peuple semblait y vivre, à en juger les bruits de battements d’ailes et de buissons froissés qui accompagnaient ma marche nocturne. Et un moment, j’eus la surprise de voir déboucher à ma gauche, presque comme s’ils venaient de la piscine ou descendaient de la Novie, deux renards l’un derrière l’autre, museau bas, très pressés, rentrant au terrier après le pillage de quelques poubelles. Poursuivant ma balade guidée, j’arrivai au coin pique-nique aménagé au bord du Doubs, à l’abri de grands saules. Sur ma gauche se trouvait le joli quartier de Sous-Roches. La chouette s’engagea dans une rue bordée de petits pavillons mitoyens, plein du charme propre à ce quartier. Et là, c’était le royaume des chats. J’en avais vu quelques-uns au début de ma promenade nocturne, mais là, j’en voyais partout, de toutes les races, de toutes les couleurs, noirs, blancs, bicolores, tricolores, tigrés, chartreux gris et persans bleus, qui nous regardaient passer en se pavanant la queue en chandelle, margottant avec une voix d’enfant qui pleure. La chouette se dirigea dans le dédale des ruelles jusqu’à l’entrée des jardins communautaires. 

Hélas, je n’avais pas la clé pour la suivre. Je me promis de me renseigner afin de devenir jardinier moi-même, s’il restait des parcelles disponibles. Mais pour cette fin de nuit, je me contentai d’observer à travers le portail. Il n’y avait pas grand-monde à cette heure-là, je veux dire aucun humain à la tâche. Mais s’ils avaient pu voir, les jardiniers, ils auraient été fort contrariés. En effet, quelques petits lapins se baladaient sans façon sur l’allée centrale et je ne doute pas qu’ils avaient goûté à quelque tendre feuillage dans les jardins déserts. Heureusement pour les jardiniers, ils étaient peu nombreux. Je suppose que ce sont les renards qui régulaient leur population : aucun chasseur ne se serait permis d’aller faire un carton en plein faubourg.

Ce spectacle me rappela un moment que j’avais vécu quelques années auparavant, en Bretagne. Par un beau soir de juin, je m’étais invité dans les alignements mégalithiques de Carnac après avoir franchi la clôture qui les protégeait. Non pas que je me refuse à payer l’entrée, je comprends très bien qu’il faut participer à l’entretien du site, mais l’heure de la visite était passée depuis longtemps. Dans la faible lumière du crépuscule, donc, je déambulais entre ces pierres plusieurs fois millénaires. Et je voyais, partout, des petits lapins gambader, aussi nombreux que les chats du quartier de Sous-Roches. Sans doute les âmes des hommes qui avaient dressé ces menhirs, pensai-je. Pardonnez-moi, je suis totalement hors sujet. Revenons à mon jardin zoologique imaginaire de Valentigney.

 J’avais perdu de vue ma chouette et j’en étais presque chagriné, quand j’eus soudain l’idée de tourner mes yeux sur ma droite, où de hauts arbres commençaient à se deviner dans le ciel pâlissant de l’aube. Je me souvins avoir entendu, quand je me promenais en plein jour au bord du Doubs, des claquements impossibles à confondre avec autre chose, ceux d’un bec de cigogne. De fait, plusieurs de ces grands oiseaux avaient construit un nid tout en haut des grands arbres. 
Il y avait là un centre Athénas de la Ligue de Protection des Oiseaux dont l’emblème était une chouette. Mon guide de la nuit s’y dirigea pour y prendre son repos sans me donner congé. Je ne pus donc pas la remercier. C’est par ces lignes que je le fais et, si vous la voyez un jour, saluez-la de ma part. Je lui dois cette merveilleuse balade nocturne.

(à suivre)